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Bienvenue dans la "réalité augmentée"

L'engouement pour Pokemon Go est l'occasion de ressortir un des premiers articles de Freakosophy paru en juillet 2009 sur la réalité augmentée - enjoy !

Après notre incursion rapide dans le monde de la flibuste via les VPN (Réseau privé virtuel) et notre tentative de décryptage de l'impact des machines - et du net en particulier - sur le développement de notre pensée, il n'est pas inintéressant de porter notre attention sur une petite évolution technique qui pourrait prochainement accélérer tous les processus que nous avons analysés et souvent dénoncés et qui a le mérite dès son appellation de nous porter sur un terrain philosophique puisqu'elle n'est ni plus ni moins labellisée: "réalité augmentée". C'est beau comme du Whitehead ou du Leibniz - ça fait concept de science-fiction et pourtant nous n'en sommes plus depuis longtemps au stade du dépôt de brevet et cette inflation de la réalité risque de débarquer sous peu dans notre quotidien grâce au génie technologique d'Apple qui semble être prêt à l'intégrer au mieux dans son nouvel iPhone 3GS.

En effet en intégrant - en plus de ses divers capteurs - une boussole à son dernier mobile, loin d'ajouter un gadget supplémentaire, Apple ouvre la possibilité d'une situation précise de l'appareil dans l'espace par rapport à son utilisateur. Il suffit alors d'associer ce petit plus au nouvel objectif de la caméra pour permettre à l'utilisateur d'accéder à cette technologie qui revient à projeter une couche d'information sur une image dans ce cas précis et plus généralement à compléter notre perception du monde réel (d'où l'idée d'augmentation) par des éléments fictifs en 2d ou 3d. De la science-fiction ? Un délire de futurologie? Que nenni. Cela fait déjà plusieurs années que cette technologie optimise les décisions des pilotes en leur permettant de schématiser à même le cockpit les éléments essentiels qui doivent être pris en compte. Les amateurs de simulations aériennes ont tous fantasmé devant l'affichage dit "tête haute" (car il n'est plus nécessaire de baisser les yeux vers les tableaux de bord pour avoir accès aux informations nécessaires) ou HUD.



L'utilité d'une telle technologie n'est pas à débattre et il est clair qu'elle améliore grandement dans certaines situations la prise de décision en permettant à l'attention de son utilisateur de se focaliser sur l'essentiel tout en ajoutant des données objectives de l'événement en cours. La NASA détaille précisément ses gains dans un rapport qui est on ne peut plus convaincant.


Mais dans un cadre moins offensif ou du moins plus routinier, la pertinence d'une telle technologie se pose en tant qu'elle peut se révéler être non pas une augmentation de la réalité mais bien plutôt un appauvrissement du champ perceptif. Le problème est dans le fond assez simple : en surlignant certains éléments ou en en chargeant d'autres d'informations, fatalement le dispositif attire notre attention sur des points au détriment d'autres et nous pousse à nous focaliser sur des aspects pratiques au détriment d'une vision plus libre. Bergson dans le chapitre III du Rire mais aussi dans sa conférence sur "La perception du changement" met déjà en avant que notre perception naturelle repose sur une présélection en vue de la pratique de certains traits au détriment des autres. C'est ce qu'il exprime très bien dans ce célèbre passage :

« Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons le plus souvent à lire des étiquettes collées sur elles. »



Et c'est précisément cette habitude qui fait que nous ne sommes pas tous des artistes car pour la plupart d'entre nous la richesse du monde extérieur nous échappe et nous nous contentons très bien de ce monde préformé pour l'action qui se dessine dans le fond de notre œil. Ainsi d'un point de vue purement perceptif, ce nouveau système ne vient qu'achever un processus cognitif déjà en place. Le danger est qu'une fois de plus la technique trace à l’avance les routes que nous devons utiliser et nous empêche de suivre un monde humain car divers. Le danger de l'intégration d'une telle technologie en dehors d'un véhicule est alors évident : nous ne verrons le monde qui nous entoure qu'à travers le prisme qu'auront établi pour nous les sites qui contrôleront et diffuserons cette information occultant ainsi volontairement ou par ignorance de nombreux aspects du monde qui auraient pu nous pousser à la création ou simplement à la rêverie. Les effets négatifs d'un tel fléchage sont déjà sensibles dans les musées où, par exemple, il est souvent amusant de voir les touristes passer aux pas de charges devant des œuvres majeures uniquement parce que le lieu ne contient pour eux qu'une liste très restreinte d'objets dignes d'être vus comme la Joconde et la Victoire de Samothrace qui sont « surindiquées » dans les couloirs du Louvre. La présentation faite par Layar de son logiciel de "réalité augmentée" disponible sur la plate-forme Androïde développée par Google pour les téléphones mobiles et bientôt chez Apple va tout à fait dans ce sens comme le souligne bien leur vidéo :


Si même lors d'une visite d'une ville étrangère nous ne laissons plus de place à notre imagination, si l'utile prend immédiatement le pas sur notre penchant naturel à la dispersion, il est fort à parier que peu à peu, une fois de plus, c'est notre regard que nous abîmons en lui surajoutant encore et encore des étiquettes qui se vident peu à peu de leur sens tout en épuisant celui-là même que nous étions venu chercher en flânant ici.


Ugo Batini

En Vitrine
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