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Malaxer son chakra ou danser le 5ème mouvement ? Petite généalogie du pouvoir du corps dans la pop c

L’inconscient de la culture populaire américaine


Si je devais résumer la trace qu’ont laissée sur moi les heures à regarder Dragon Ball (Z) enfant, je dirais qu’il reste essentiellement cette croyance qu’en faisant le bon geste, en le combinant au bon mot, n’importe qui pourrait faire jaillir une boule d’énergie d’entre ses mains.


Naruto a prolongé la même certitude : une position associée à une incantation pourrait faire sortir de l’ombre n’importe quel ninjustsu. Si j’avais l’assurance de pouvoir courir dans les rues sans être vu, j’aurais sûrement essayé également de mettre mes bras en arrière comme un avion – et comme le font tous les ninjas de Konoha qui se rendent sur un point d’opération.

Dans les mangas, les corps bougent, adoptent des positions pour générer des pouvoirs. Les mots sont à l’unisson des souffles et des armes. ­La rapide comparaison avec les comics rend évidente à l’inverse l’absence quasi-totale de codes corporels pour l’expression des différents pouvoirs des super-héros.


Le corps n’est pas le problème de ces avatars de dieux mythologiques. Ils peuvent être différents et signalés comme monstrueux ou divins par des costumes, des couleurs ou n’importe quelle excroissance, néanmoins leurs pouvoirs n’obéissent à aucune logique corporelle. Le corps des super-héros est un symbole, pas un véhicule de pouvoir. On voit Naruto traversé par le chakra, on voit l’énergie irradier de la chevelure blondasse d’un super singe de l’espace, mais jamais la rafale laser d’un Cyclope ne semble être autre chose que l’effet de sa volonté. Même Serval n’a pas besoin de plus de quelques secondes pour découvrir le fonctionnement de ses griffes (là où un mangaka aurait à cœur de spécifier correctement tous les muscles qui entrent en jeu pour faire sortir ces griffes rattacher ces griffes au squelette en adamantium pour pouvoir si correctement déchirer n’importe quel métal sans disloquer la chair du pauvre Logan).

Bref, le corps est resté un inconscient dans la culture populaire des super héros jusqu’au film Dr Strange de 2016.


Aussi intelligent et spirituel que soit le personnage de Dr Strange, c’est le parti inverse qui frappe : soudain, un super-héros doit faire des gestes, et apprendre savoir quoi faire de ses mains (repensez à la scène de Batman v. Superman où on voit Bruce Wayne tirer un pneu, il n’y a toujours rien d’autre ici que des muscles épais et aucune habilité qui s’exerce). L’insistance du film Dr Strange sur ce qu’il advient des mains de ce chirurgien est à la fois louable et inabouti. Louable parce qu’elle est nouvelle mais inabouti parce que très vite, cette main ne reprend vie que sous l’effet d’un artefact magique, par lequel on retrouve le principe moral de tous les pouvoirs de super héros américains (cf. notre article précédent). La main du Dr Strange ne semble d’ailleurs connaître qu’une unique position dans les comics : pouce, index et auriculaire levés (comme le signe du démon dans les concerts de métal), là où les invocations d’un Naruto se conjuguent en plusieurs cases distinctes pour chaque signe.

En réalité, il est très probable que les créateurs du film aient copié purement l’idée du geste de la main de Naruto, mais passons. Il est simplement intéressant de constater que la puissance ait enfin partie liée avec la dextérité. Plus loin dans le film, d’ailleurs, Dr Strange utilisera aussi son esprit, comme si, dans le fond, cette parenthèse pragmatique n’était qu’une transition vers le grand saut spiritualiste – au contraire, on se souviendra du long apprentissage de Naruto à produire son propre rasengan ou de l’insistance dans le Garçon et la Bête sur le rôle du corps et la lenteur de l’apprentissage d’un art martial.


Une danse angélique : The OA


Les chorégraphies des magical girls, l’impact des jeux vidéos, ou simplement la lassitude à vouloir nier toute implication corporelle dans l’apprentissage des différents pouvoirs, tout ça a débouché sur une idée surprenante de la série la plus étrange qui soit : The OA, récente petite perle netflix perdue dans un catalogue de plus en plus hétéroclite. Soudain toute l’histoire s’axe sur l’apprentissage de gestes, de « mouvements », qui permettraient de voyager à travers les dimensions.



Sans spoiler davantage, disons que la fin reste un moment WTF d’une incroyable amplitude. Toute son interprétation dépend de l’important qu’on accorde soi-même à la danse que pratiquent les protagonistes de la série. Tout dépend du sens d’un geste. C’est un Kaméhaméha de trentenaire qui bouffe du quinoa pour combattre la violence d’un monde injuste. C’est la croyance même qu’on a mise dans nos kaméhaméha d’enfants qui est interrogée.


La chorégraphie est écrite par Ryan Heffington (qui a travaillé pour Sia ou Sigur Ros – le même Sigur Ros qui avait été utilisé par Merce Cunningham dans l’un de ses spectacles). Le chorégraphe dans la droite lignée de la série ne dévoile pas grand chose des sources de sa propre création. Elle mêle des élément naturels, organiques, animaux, narratifs et « quant à savoir si c’est une ancienne danse tribale ou autre chose… je ne veux pas trop en dire. » Voilà, tout est dit. Celui-ci non plus n’aura pas besoin d’être invité à l’émission la grande table sur France Culture.

Mais ce qui est le plus intéressant c'est que les personnages autant que les acteurs ne peuvent pas tricher au moment de l’effectuer, ni le spectateur. Ils doivent danser. Il n’y a pas à dire beaucoup plus. Soit la beauté de cette chorégraphie vous touche extra-diégétiquement autant qu’elle affecte les personnages intradiégétiquement. Soit tout tombe à plat. Vous n’aimez pas la chorégraphie, elle vous semble ridicule, et alors la fin est définitivement comprise de la façon la plus déceptive qui soit. Thrillist.com résume bien le problème : « Selon votre interprétation, la scène finale de tuerie de masse à l’école est soit une déclaration puissante, soit un coup de théâtre de très mauvais goût. »


Mais si le corps réapparaît, y compris le corps de Phyllis Smith, plus connu dans son rôle de « Phyllis » de The Office, ce n’est plus le corps-outil énergétique de Naruto ou de Dragon Ball. En fait, l’héritage de la médecine chinoise ou la passion des ninjutsus n’est pas du tout en jeu ici. La série reste elle-même vague quant aux effets de ces gestes, mais en tout cas, on pourrait dire assez clairement que le corps est ici producteur de beaux mouvements.


L’apprentissage de ces mouvements est d’ailleurs la vraie trame narrative de la série. En effet, une fois apparus par accidents, il s’agit désormais de les retenir, de les apprendre, de les incorporer pour ne plus les oublier. La série aurait pu pousser encore plus loin ce principe de mémoire corporelle puisqu’elle confronte autant le point de vue à la troisième personne du scientifique/geôlier au point de vue à la première personne des danseurs/captifs. On laissera aux spectateurs leur propre interprétation, non par paresse, mais parce que la série elle-même le suggère.


Richard Mémeteau


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