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Philosopher avec Game of Throne ?

Oubliez la couverture du livre (elle devait représenter le loup des Starck mais on dirait plutôt la tête d’un loup inspiré par le dessin des Cosmocats). Vous pourriez penser que c’est un livre opportuniste, alors que c’est tout le contraire. Car beaucoup de livres de philosophie à propos d’une série se contentent de déstructurer l'intrigue pour faire apparaître par défaut une interprétation générale abstraite – ce qu’il faudrait entendre par "philosophie". Ce n'est pas le cas ici. Le livre de Sam Azulys, Philosopher avec Game of Thrones, est le livre d'un amoureux de Game Of Thrones – qui préfèrerait se jeter dans le chenil de Ramsay Bolton plutôt que de désosser sans raison ces intrigues.


L'auteur parie courageusement que les parcours diégétiques des personnages ont quelque chose à nous dire. Le livre s'organise autour de huit personnages centraux (les Lannister : Tyrion, Jamie, Cersei ; les Starck : Eddard, Arya et Bran ; et les deux outsiders : Jon Snow et Daenerys Thargaryen). Car George R. Martin a su créer plus qu'un univers réaliste d'héroïc fantasy, il pose aussi des parcours moraux au sein de cet univers. Le niveau de mortalité élevée des personnages au sein de la série peut sembler obscène et excitant à la fois – un écrivain comme Archibald voyait dans cette contingence la raison du succès d’autres séries comme Walking Dead.


La lecture du premier chapitre sur Eddard Starck réussit notamment à nous convaincre que la mort infâme de Ned avait bel et bien ses raisons (et non simplement des causes). Pour rappel, le conflit qui précipite la chute de Ned expose un dilemme entre morale kantienne (agir par devoir) et morale utilitariste (agir par calcul du bien du plus grand nombre, notamment en tuant Daenerys pour sauver le royaume). Ned est le personnage le plus droit, et on se sent proche de lui pour cette raison. Mais on ne sait pas quelle morale il suit réellement. Or la proximité morale qu’on entretient avec le personnage s’avère trompeuse au moment même où Ned pourtant fait le choix le plus consensuel – et refuse de partir tuer Daenerys. Sam Azulys montre très bien que Ned ne suivait pas une morale kantienne mais plutôt une éthique de la vertu – où seule compte les compétences que l’on développe, par exemple celle pour Starck de faire des choix en soldat capable d'affronter la mort sans céder à la pression politique. Ned était donc mort depuis le début. Car il s’y est préparé toute sa vie. Après lecture, le spectateur (que je suis) est donc forcément interpellé par ses propres interprétations des événements marquants de GoT.

Le plaisir est réel à se replonger dans les détails des intrigues, car le sens philosophique qui émerge s'accroche à chaque petit signe. Le lecteur est comme la corneille à trois yeux relisant le monde apparemment sans pitié de GoT comme un monde de symboles et de métaphores vivantes. C'est la tension inhérente à la série où aucun point de vue ne parvient à embrasser la totalité du réel. Le brave Jon Snow est trop naïf, le cynique Lord Baelish est trop destructeur, Cersei est trop isolé, même la sorcière rouge est finalement incapable de comprendre son dieu...

Tous les personnages ne proposent pas des parcours si nets, simplement parce que la série n'est pas achevée. Le chapitre sur Tyrion est très éclairant, ainsi que celui sur Jon Snow. Le voyage de Brann ou Arya est plus accidenté et les indices peut-être plus difficiles à collecter.

Mais le livre a l'effet de toute bonne magie : il nous fait poser un regard neuf sur la série. Alors que je pestais lors de la saison 5 contre la dispersion des intrigues et la multiplication de scènes simplement bavardes, les façon qu’a Sam Azulys de déplier les problèmes philosophiques permet de retrouver un intérêt dans les échanges entre les personnages. Chacun y éprouve en effet sa propre vision du monde en pratiquant un véritable art du dialogue. Le travail de Sam Azulys renvoie de façon précise aux scènes et aux arguments. Il serait même assez passionnant de vérifier si George R. Martin n’a pas pensé à quelques philosophes en écrivant – Sam Azulys fait remarquer par exemple une forte similarité entre le destin de Tyrion et de Machiavel.


Cette lecture est facilitée par le travail en amont des fans qui ont déjà repéré et youtubé les dialogues ou monologues les plus déterminants ou incisifs. Etant prof de philo, j’ai pu préparer deux cours (sur Tyrion et Ned) en empruntant les idées du livres et en les croisant avec les vidéos à disposition sur le net. C’est à mon avis la façon la plus nette de juger de la solidité de ce travail : sans démagogie ou ésotérisme, c’est le travail d’un spectateur averti qui sait saisir la philosophie là où elle apparaît.




Richard Mémeteau

En Vitrine
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