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Star Wars VII : une critique impossible ?

Star Wars VII est difficile à critiquer. Le film n’est pas excellent, mais le problème est que ça n’est pas simplement un film. C’est un univers.




Anticipation


J’ai moi-même tergiversé pendant plusieurs mois avant de me faire un avis sur le film. L’anticipation de sa sortie me donnait l’occasion de parcourir intégralement le circuit du fan. J’ai revisionné les bande-annonces du film. D’impatience j’en suis même venu à suivre le début de la seconde série d’animation Star Wars Rebels (Clone Wars était plutôt bien foutu en comparaison). Puis je me suis tenu informé des coulisses du tournage, des rumeurs, du casting…

Un mois avant la sortie, je me suis décidé à acheter une PS4 pour jouer au jeu Star Wars Battlefront. Le jeu intégrait pour l’occasion la bataille de Jakku, c’est-à-dire l’endroit où Rey vient piller et désosser les anciens vaisseaux de l’Empire échoués dans le sable. Il intégrait également l’arbalète laser de Chewbacca tant vantée dans le film par Han Solo. J’ai vu le film en VF, en VO, en 2D et en 3D. J’ai lu les critiques, les critiques des critiques (notamment le texte absurde de Jean-Michel Frodon faisant un lien entre le fan, le fanatisme religieux et l’état islamique). Je lisais en parallèle les comics Marvel qui reprenaient les diverses lignes narratives et les prolongent encore aujourd’hui. J’ai revu les films précédents tandis que j’écoutais les émissions de philo sur Star Wars diffusées sur FranceCulture.

Et un jour, après en avoir finalement eu marre de prolonger mon « expérience » Star Wars sur PS4, je me suis réveillé et j’ai commencé un peu à me dire qu’il était temps d’évaluer cette expérience, en commençant par le film.



Déception


Pour être honnête, une demi-heure après son commencement, le film avait fini de me décevoir. La première scène avec Oscar Isaac marque une rupture avec le registre lucassien du merveilleux des précédents épisodes. On sentait le désir d’une version plus sombre de Star Wars, plein de massacre de villageois et de génocide cosmique, mais sans les moyens (ni l’autorisation ?) de cette noirceur. Le film restait comme pris dans un marais dagobien. Et il s’y est enfoncé complètement au moment de l’explosion en deux minutes chrono de toutes les planètes de la République. Deux misérables plans suffisent à régler son compte à l’héritage de la prélogie. C’était la fin du rêve de Lucas de donner une quelconque dimension politique au film. Tout n’allait être que rapport de force et histoire de familles.

Heureusement, il restait au spectateur malheureux un petit bout d’univers merveilleux à mâchouiller – comme cette scène où Rey traverse le désert à moto volante pour explorer la large carcasse de croiseur interstellaire. Le reste a vite fini par ressembler à une suite de décors monotones, dignes de la forêt de Rambouillet un jour de pluie et une aire de parking sur l’autoroute A10 un jour de pluie (je comprends l’envie de J-J. Abrams de renouer avec les décors réels, mais à moins d’être un réalisateur français, ça ne veut pas dire que la réalité doit être synonyme d’ennui).



Rétroaction


Mais les enjeux du film n’était pas là.

La question centrale de la saga a toujours été de savoir qui apporterait enfin l’équilibre dans la Force. Car la prophétie centrale de Star Wars est restée insaisissable. Yoda annonçait dans l’épisode III qu’elle aurait pu être mal interprétée, en expliquant au moment où il se rend compte qu’Anakin a trahi l’ordre jedi que « une prophétie peut être mal lue ».


Depuis longtemps était devenu plus qu’un film. Il était devenu une pièce de puzzle au sein d’une image qu’on pouvait recomposer de mille façons. Les fans, les critiques, mes potes et moi étions tous obligés de nous replonger dans ce travail d’exégèse d’une prophétie, voire même d’une philosophie de la Force qui avait survécu malgré ses contradictions (et les petits aphorismes de Star Wars : Clone Wars sont là pour en témoigner).

Le carton qui ouvre l’épisode VII est pourtant le plus faible de l’histoire du cinéma : on nous annonce laconiquement que Luke a disparu… Or retrouver un personnage dont on avait fait le deuil trente ans auparavant n’est déjà pas très intéressant. Ajouté à cela, la force antagoniste que représente Le Premier Ordre – une sorte de Néo-Empire dont la survivance est seulement posée sans être expliquée – est incroyablement inintéressante.

Mais ce mince intérêt suffit pourtant à produire un incroyable succès commercial. Car cet intérêt est démultiplié par l’attente et surtout la possibilité d’une réinterprétation massive de notre plus tendre souvenir cinématographique.


Invité de nouveau à revoir le film, mon attention s’est naturellement portée sur les indices dévoilant les identités de chacun et validant ou non les différentes théories (par exemple celle qui veut que Han Solo se sacrifie pour rendre crédible la mission d’infiltration de Kylo Ren au sein du Premier Ordre). Les théories qu’on peut glaner partout sur le net fonctionnent comme des hypothèses à tester. Le film redevient intéressant, car c’est la mythologie des premiers Star Wars qui pourrait être finalement revisitée en profondeur (notamment la question de la vie sexuelle et de la paternité d’un jedi).

Le film n’a pas besoin d’être bien écrit. Mais presque malgré lui, il était gros de toutes ces théories possibles – et de toutes les relectures et réécritures possibles. Le projet de poursuivre la saga oblige à recartographier d’un coup toutes ces histoires virtuelles, au moment même où la saga grandissait définitivement d’un épisode supplémentaire. On pourrait dire qu’avec Star Wars, on tient une forme spécifique de narration rétroactive constante. On ne parle pas en effet simplement de suspense ou d’anticipation – l’épisode VII constituant le début d’une nouvelle trilogie, le suspense était évident – mais de la reprise permanente de la question de l’élu supposé rééquilibrer la force. Car l’antagoniste suprême ressurgi pourrait bien être Darth Plaguis (le premier sith) et par conséquent, le héros, ou l’héroïne, sera le véritable élu.

Qui plus est, ce genre de réinterprétation massive est dans l’ADN de la saga. On le sait, Darth Vador est devenu dans le script le père de Luke Skywalker presque par hasard, ou en tout cas au dernier moment (ce qui invalide à tout à fait les tentatives d’y voir se réaliser une sorte d’Oedipe moderne). Mais ce qui est génial, c’est que cette révélation oblige à réécrire rétroactivement les relations entre les personnages. Le récit de Star Wars ne cesse de se corriger lui-même au fur et à mesure, et fini par être cohérent, tout en étant ouvert.

L’idée que je trouve la plus stupéfiante et cohérente avec l’univers Star Wars est que Jar Jar Binks serait le plus grand seigneur sith de l’univers. Jar Jar Binks pourrait être Darth Plaguis : Darth Darth Binks. Les siths se fondent dans la masse, et n’arrivent à gouverner qu’en se laissant sous-estimer par tout le monde. Jar Jar Binks, en se faisant passer pour un simple d’esprit et en jouant un rôle fondamental dans l’ascension de Palpatine, serait en réalité le candidat parfait d’une bonne théorie du complot galactique. Regarder les vidéos présentant cette théorie geekissime m’a procuré un véritable frisson esthétique.

Par comparaison, l’univers de Tolkien est fermé. Il n’y a plus d’interprétations ou de corrections rétroactives possibles. L’adaptation du Hobbit n’a rien bouleversé au sens original : « un anneau les gouvernera tous » a toujours été vrai et le restera. Et si une suite devait être écrite (et on peut supposer que cette suite, comme celle d’Harry Potter voit le jour), on peut douter qu’elle oblige à une relecture aussi profonde que celles qui ont déjà eu lieu dans Star Wars.

Je n’ignore pas que cette angle critique pourrait aussi s’appliquer à beaucoup d’autres films. J’ouvre peut-être ici une fenêtre d’immunité critique à quantité de daubes cinématographiques. Mais un film pop n’est pas autotélique par essence, jamais fermé sur lui-même. Il est normal et répandu de l’interpréter en fonction d’autre chose que lui-même. De son succès, du scandale qu’il peut produire, etc.

Mon argument au sujet de l’épisode VII a beau concerner en réalité l’univers Star Wars entier et pas uniquement un épisode, il n’en reste pas moins rare de trouver des univers qui autorise des corrections rétroactives si nombreuses, plutôt qu’une simple élucidation progressive des secrets. Rares sont les sagas où l’on ose dire que ce qui était dit dans l’épisode précédent était faux ou imprécis. Tout simplement parce que le spectateur aurait eu l’impression de se faire rouler – à moins de lui promettre une sagesse nouvelle acquise par cette remise en cause même, ce que Star Wars a su faire. Dans les deux trilogies, on justifie cette correction par une sagesse supérieure. Si Anakin n’est finalement pas l’élu, c’est parce qu’il n’a pas su se départir de la Force (version Mathew Woodring Stoover – et après tout, version premier Lucas). Et si Luke ne pouvait pas être l’élu, c’est parce qu’il n’était pas capable de comprendre la nécessité du Mal (version de la plupart des spectateurs et du deuxième Lucas).


On sait que ça a coûté une histoire d’amour incestueuse involontaire à Star Wars. Matrix 2 avait eu cette intention, ce qui avait d’ailleurs plutôt déplu à la critique, qui y voyait à l’époque l’opportunité de produire une suite sans intérêt. Espérons que maintenant que le public et la critique aient accepté l’idée d’une saga cinématographique qui dure et se corrige, elle perçoive désormais la force d’un univers à travers ses potentialités d’interprétation. Espérons encore qu’elle reconnaisse le travail des fans comme participant de cet univers fictionnel lui-même, plutôt que de les dénigrer sans raison.




Richard Mémeteau


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