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Wet Hot American Summer : First Day of Camp (2015) – Les limites surjouées de l’expression


Préquelle d’un long-métrage éponyme datant de 2001 et ayant progressivement acquis un statut relativement culte au fil des années, cette mini-série en 8 épisodes à l’initiative du réseau Netflix surprend et ravit autant par son audace, son casting qualité premium que par sa virtuosité à enchainer des perles de non-sens qui nous font repenser délicieusement à l’époque bénie des films des ZAZ, aux séries superbement nawak telles que Soap (le sitcom merveilleux de Susan Harris dans les années 80) ou encore le caustique On the Air de David Lynch - qui n’a malheureusement pas trouvé son audience dans les années 90. Et c’est peut-être pourquoi elle est passée relativement inaperçue malgré de telles qualités. Pourtant un pas crucial vient d’être franchi. Cette fiction anodine est peut-être la démonstration par A+B du fait que la fiction au jour d’aujourd’hui pourrait bien avoir été définitivement dépossédée de son droit légitime de questionner le monde.


On ne peut pas dire non plus que l’héritage laissé par le "Théâtre de l’Absurde", quelque forme qu’il prenne - et je suis intimement convaincu que la parodie en fait partie - ait spécialement le vent en poupe ces jours-ci - car oui : Wet Hot American Summer ressemble absolument aux résultats enfiévrés d’un workshop de classe d’impro. Il n’y a aucun doute là-dessus et il ne s’agit même que de ça. Il est incroyable (étonnant ? consternant ?) de voir l’accueil qui lui a été réservé dans notre belle contrée par nos critiques pourtant émérites et assermentés, qui n’ont su aborder la série que comme une « petite curiosité un peu étrange», avec une sorte de dédain vaguement précieux, vaguement embarrassé. Une telle imperméabilité, au pays d’Eric et Ramzy, de Christian Clavier et du Théâtre du Splendide, rappelons-le quand-même, voilà qui est tout de même assez étrange.


Peut-être y a-t-il un problème avec le sujet choisi : chez nous, plus personne ne fréquente les camps de vacances, ça n’existe pas, et d’ailleurs ça n’a jamais existé... Tout ceci qui plus est au moment où jamais il n’a été autant question de liberté d’expression, et en gardant à l’esprit que l’absurde a toujours été le « dernier rempart », l’outil antidogmatique par excellence face à la surdité éventuelle des dirigeants en place au cas où ils oublieraient (un exemple au hasard au regard de l’Histoire) d’œuvrer pour notre bien commun. Un cran plus loin c’est le dadaïsme, et deux si on veut bien c’est déjà le sacro-saint blasphème si cher à notre esprit frondeur, ce droit inaliénable et quasi-vital de faire remarquer à son voisin en toute légitimité qu’il a un gros nez.


L’absurde nous en avons besoin, c’est tout ce qu’il nous reste pour exprimer encore socialement (plutôt que de se retrouver transformé en de la chair à barricade) notre mépris envers (toujours au hasard) la direction que pourrait prendre le monde, ou bien les raisons d’Etat ignobles et les fausses-vérités répugnantes dont on nous abreuve. Car elles ne méritent tout simplement pas notre considération, ni même la moindre polémique, ni même la moindre parole sensée, étant elles-mêmes, insensées. Et on y a cru au retour de cet absurde salvateur, parce que ça avait déjà fait ses preuves, parce que cela réussissait à continuer d’exister vaille que vaille, décennies après décennies, dans les maigres interstices laissés par les jeux d’argent, la téléréalité et le grand nivellement par le bas en général, on y a cru pas plus tard que l’année dernière, bien avant que tout le monde ne se mette à brandir subitement des pancartes avec le prénom d’un inconnu, ni que l’indignation ne trouve sa légitimité sine qua non par un adoubement nécessaire de la postérité :


...donc oui, le court-métrage devenu viral de Casper Kelly est un geste fort, si l’on veut bien considérer une vieille idée, celle de « l’utopie télévisuelle » si chère à Jean-Christophe Averty (qui s’était heurté déjà aux obstacles que l’on connaît) et que je n’ai plus revue abordée depuis, de mémoire, le roman de Tonino Benacquista en 1997, Saga. En tout cas c’est tout sauf un geste vain puisque jamais autant qu’aujourd’hui, les séries sont devenues des sujets de thèses universitaires, elles sont enfin acceptées comme matériau véhiculant du contenu et surtout, elles continuent de se faire elles-mêmes à cette idée en devenant de plus en plus audacieuses, étant abordées comme un travail d’auteur à part entière, interrogeant le monde comme toute œuvre qui se respecte - jusqu’à aujourd’hui donc. Wet Hot American Summer : First Day of Camp annonce tout haut ce que tout le monde pense tout bas, la défaite de l’appareil critique que peut quelques fois constituer l’Art, en sonnant le glas en forme de doigt tendu glorieux aux trois-quarts des registres mainstream. D’autres séries humoristiques sont peut-être plus virulentes, mais s’aventurent-elles en un point bien précis jusqu'où la création de David Wain et Michael Showalter ose aller ?


Reprenons. Avant d’être une série c’était d’abord un film qui, du propre aveu du comédien Christopher Meloni (Law & Order ; Oz) était peut-être même « un peu en avance sur son temps » , plus précisément de par son rapport au politiquement correct : la séquence où les moniteurs passent un moment en ville est presque anthologique à elle seule, de plus chaque moufflet qui aura le malheur d’interrompre un coït se verra balancé dans un fossé sans aucune forme de ménagement ni de procès, moult blagues également sur le registre underage en s’appuyant sur le fait que les adolescents sont toujours interprétés par des adultes dans les sitcoms et autres... Mais la dynamique ne fonctionne pas que dans un seul sens : on retrouve un cours d’arts plastiques où ce sont les élèves qui se retrouvent être plus matures que la prof et doivent l’aider à surmonter le chagrin de ses précédents divorces. On notera également une relative propension à l’humour juif, et les auteurs iront pousser en dernier lieu le vice jusqu’à dépeindre une romance homosexuelle sans clichés. Oui vous avez bien lu, aujourd’hui encore, le film n’est donc pas pour toutes les audiences.


L’éventail des outils de l’improvisation repris dans la série et qui ont échappés aux grilles de lecture de notre respectable profession – à leur décharge, il faut savoir que tous les comportements sont « exagérés » en improvisation, toute réaction naturelle est à bannir - sinon c’est aussi chiant à faire qu’à regarder – et si on ne le sait pas, alors nos repères peuvent s’en retrouver effectivement complètement dénaturés. Le propre de la parodie étant bien de faire s’entrechoquer différents registres, de leur emprunter des attitudes, des pauses, bref quelques ingrédients, pour les redistribuer de façon bien sûr complètement inadéquate (aucune condescendance ici, je dis juste ça pour aider les collègues). Et donc nous nous retrouvons face un casting rempli d’inconnus talentueux offrant au spectateur des moments somptueux d’immaturité et d’affirmation de l’égo ainsi que des sommets d’hystérie injustifiée tout en piétinant allègrement à peu près tous les standards en général, et principalement ceux de l’American Way of Life que nous connaissons si bien. Le présentateur du spectacle de fin d’année règle à lui tout seul la question du rapport de l’Entertainment à son audience, tandis que la thématique habituelle du passage à l’âge adulte se retrouve travestie en un rite initiatique à la Dirty Dancing. La menace extérieure finale incarnée par le satellite menaçant de s’écraser vient tout à coup recadrer ces belles mentalités (autarciques ? fantasmatiques ?) dans le monde réel – et inutile de vous dire que ce sont les geeks qui nous sauvent tous. Encore une fois cela peut paraître un acquis aujourd’hui, mais à l’époque c’était bien sûr complètement impensable.


Le film nous relatait le dernier jour avant la fin des vacances, la série nous dépeint l’intégralité du séjour, creusant à merveille dans les éléments de la trame originelle pour en extraire une fantastique mythologie, développant fabuleusement le background de personnages secondaires et les alignant à merveille sur l’éventail de ses thématiques. Commençons d’abord par le point le plus sensible, avant que tout malaise ou confusion ne s’installent : les vannes underage. Aucune complaisance malsaine mais bien un taillage de short en règles des étranges coutumes qui sévissent à Hollywood, l’affaire Polanski en tête : une monitrice canon vaguement esquissée dans le film s’avère en réalité une journaliste d’un magazine de rock qui décide d’infiltrer le camp Firewood pour en tirer une chronique, une histoire d’aujourd’hui (l’action se situe dans les années 80) qui lui vaudra certainement un Pullitzer elle en est sûre. Bon, la proximité avec les différents protagonistes s’avèrera pour elle aussi une sorte de passage initiatique car elle se fera de nouveaux amis etc mais là n’est pas la question. C’est en prenant une pose boudeuse et en se rajoutant une boucle d’oreille qu’elle gagne le respect de ses collègues, prouvant sur le champ qu’elle est capable de se faire passer pour une gosse de treize ans. Le parallèle avec la société du spectacle est également repris, au travers de la mise en place d’un spectacle reprenant l’esthétique fluo en vogue à l’époque, et enfonce le clou encore davantage grâce à la prestation sublime de John Slattery (échappé de Mad Men, tout comme Jon Ham d’ailleurs, et que personne ne vienne s’offusquer si c’est lui le prochain James Bond car il y travaille ici d’arrache-pied). Que des comédiennes adultes annoncent l’âge réel de leurs personnages est d’ailleurs l’un des gags récurrents de la franchise, et aussi l’un des plus efficaces – ça c’est fait.


Forte de sa toute nouvelle mythologie, la série fait un point d’honneur à cultiver les sorties de registre, à double-tonneaux certes mais pas moins vides de sens, ainsi nous serons expliquées les origines de la canette de légumes qui parle, point de départ pour toute une série d’évènements qui seront en quelque sorte le remplacement de la menace satellite du film, l’irruption des vrais périls du monde réel. Ce serait un véritable crime de vous en spolier le déroulement alors pour faire court, ses adjoints Kathie et Gregg se retrouveront confrontés à l’administration Reagan. Ils tenteront tout d’abord un recours en justice (je crois que le face-à-face Bruce Greenwood/Michael Cera demeure un de mes moments préférés de toute la saison , qui en compte pourtant beaucoup) qui vaudra une balle dans la tête à leur avocat, puis à Gregg. Puis à Eric, le rocker légendaire qui vivait secrètement dans le coin en reclus, alors qu’il venait tout juste d’empêcher un bain de sang entre les monos du camp Firewood et leurs rivaux un peu plus aisés du camp Tiger Claw, et ma foi il me semble que c’est un assez joli constat en ce qui concerne le sort qui attend quiconque un tant soit peu concerné par l’équité, la justice et la liberté d’expression.


T’as le droit de pas être d’accord, mais si tu le dis ouvertement on te bute.


Si tu essaies de faire quelque chose contre en plus de pas être d’accord, on te bute aussi.


De mémoire je n’avais pas revu ceci aussi bien explicité depuis le Stalker de Tarkovsky, quand le Professeur reçoit un appel où on lui dit de bien réfléchir s’il veut mettre ses projets à éxécution (faire exploser la Zone) s’il a vraiment l’intention de passer ses derniers instants sur Terre pendus à des crocs de boucher -ce qui m’avait tout de suite fait penser au Salo de Pasolini, car quelle meilleure illustration du Pouvoir. Aujourd’hui encore je me demande s’il est même possible de visionner The Insider de Michael Mann sérieusement (pour la dénonciation du système, tout ça) je pense intimement qu’on va au contraire continuer à se tourner vers les grosses figures du passé, genre Lincoln. C’est plus simple. Je ne vais pas me lancer dans un pensum sur l’idéologie, il se trouve qu’elle a assez de porte-paroles. Beaucoup de films ont en effet comme seule excuse pour justifier leur médiocrité de s’attarder sur les grandes victoires, les grandes leçons du passé, plutôt que s’attaquer aux problématiques contemporaines, oui leur seule excuse est qu’ils seront rediffusés et qu’ils seront peut-être « la première fois », la première sensibilisation à certaines thématiques pour quelqu’un. Au contraire, ceux qui prennent un petit peu de risques, même avec talent comme c’est le cas ici, sont systématiquement ignorés ou dénigrés (enfin plutôt snobés, ça passe toujours mieux si c’est dit sous-couvert de bon goût et de grandes valeurs) (avec en plus un petit sourire malicieux et c’est de l’anti-conformisme total). Au vu de la qualité des séries américaines, j’avais d’abord pensé à une forme de protectionnisme, mais je crois que ça va plus loin que ça, quelque chose lui aussi en rapport avec l’histoire de notre beau pays – on attend d’ailleurs les réactions de cette même profession vis-à-vis du Gaz de France de Benoît Forgeard.


Ceci dit LA REVOLUTION EST EN MARCHE, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.


Elle va très bien, les discours sont prêts – ils sont terminés – et on a déjà rassemblé les intervenants, ils viennent de finir de choisir leurs costumes. Juste un petit souci, un dernier détail logistique, on a pas encore trouvé les trois mille connards prêts à se sacrifier sur des barricades pour un monde meilleur qu’ils ne verront pas, les figurants pour le charnier sur lequel nous nous hisserons afin de vanter les mérites du courage et de l’abnégation. L’adversaire est exigeant, il ne veut que des bains de sang – pour tout un tas de raisons (démographiques entre autres) mais mettez-vous à sa place, une fois les plus énervés au tapis, admettez que ça sera plus facile pour mettre tout le monde en rang.


La question est là, aurons-nous toujours de la place, un espace, pour ne serait-ce que témoigner notre mépris, notre désaccord, voire-même le simple fait que nous ne sommes pas dupes ? Wain et Showalter l’ont fait en tout cas, pourquoi ne pas regarder ce qu’ils ont à dire .. ?


En plus c’est drôle..

Nonobstant2000


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