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Lorsque vous dites à des Autochtones Américains de « passer à autre chose » ou pourquoi je fais étud

Toujours à la recherche du meilleur pour vous nous sommes heureux de vous proposer cet article de Cutcha Risling Baldy, professeure assistante d'études indiennes américaines. Il a été publié originellement sur son propre blog et déjà repris sur d'autres sites outre-atlantique. L'auteure y parle à la fois de The Walking Dead, dont elle est fan, mais aussi de ce qu'a traversé les autochtones en Amérique. Il est probable que cette mise en relation change en profondeur votre idée de The Walking Dead change mais aussi transforme ce qui vous semble un folklore lointain en une preuve de résistance culturelle inédite.

C'est pour cette raison que nous avons décidé de vous en proposer une traduction.


Donc un ami m’a écrit un message sur facebook qui ressemblait un peu à ça :


Question : mais comment tu arrives à te faire comprendre quand quelqu’un te dit que les natifs Américains n’ont qu’à passer à autre chose ?


J’ai commencé à lui répondre et puis j’ai pris conscience que ce jour-ci (le jour où je devais passer et réussir mes examens finaux), cette question venais d’éveiller quelque chose en moi et que je me trouvais soudain en train d’écrire une toute nouvelle page de blog. J’ai alors décidé que je lui enverrais à la fois ma réponse fleuve et que je la posterais ici. Et je me suis remise à réviser pour mes exams, juré !



Question : mais comment tu arrives à te faire comprendre quand quelqu’un te dit que les Autochtones Américains n’ont qu’à passer à autre chose ?


Réponse numéro 1 : les provoquer ?


Je ne suis jamais partisane de la provocation car ils semblent avoir de toute façon une case en moins. Dites leur de prendre un cours de Culture Autochtone Américaine (ce n’est pas gratuit mais ça vaut le coup).

Mais si je suis honnête, quand ça m’arrive, quand ce problème m’est posé (et il revient assez souvent pour que je puisse dire « quand ça m’arrive » plutôt que « la dernière fois » ou « il y a si longtemps, tellement longtemps que je ne peux plus me souvenir précisément quand… »), j’aime leur parler de The Walking Dead.


Je dois prendre un moment ici pour vous prévenir tous « Attention, spoiler alert ! » Car c’est vrai. Je vais tout raconter. Je vais partager tout ce que je peux raconter de sérieux sur The Walking Dead en une page de blog. C’est un « Spoiler Alert » massif, et plus encore si vous n’avez pas eu l’occasion de regarder toutes les dernières saisons sur Netflix parce que vous avez une vie, et que le moment ne s’est pas encore présenté de s’asseoir et regarder une lente, déprimante et même pas toujours divertissante mise en accusation de l’humanité entière au beau milieu d’une apocalypse zombie et de la fin du monde tel qu’on le connaît. Donc… « Spoiler Alert ! »


Il y a une scène dans cette saison (la 4ème) de The Walking Dead où certains des personnages parlent… En fait, il s’agit de la plupart des scènes, il y a une SOMME INCROYABLE de discussions dans cette série, mais je digresse. Dans cette scène, on découvre les « questions » que le chef du « groupe » (Rick) pose à ceux qu’il croise pour déterminer s’il peut les amener dans son propre foyer et faire en sorte qu’ils deviennent une partie du groupe.


Combien de marcheurs (zombies, pour ceux qui ne regardent pas la série) avez-vous tués ?

Combien de personne avez-vous tuées ?

Pourquoi ?


Mais il y a une quatrième question qui apparaît qui n’est pas dans la liste. Rick la pose quelques fois dans cette saison, et les autres dans leurs conversations se la posent également.


Vous pensez qu’on va pouvoir s’en remettre ?


Serons-nous capables de continuer à vivre après ce qu’on a traversé et ce qu’on a fait d’horrible ? Qu’est-il advenu de notre humanité ? C’est quelque chose qui est exploré à travers toute la saison, particulièrement par le « chef » (de fait il ne l’est pas toujours, il est parfois fermier, souvent perdu et très souvent en sueur) Rick, et à la fin il fait un grand discours pour dire que oui, on peut s’en remettre.


On peut s’en remettre, dit-il, on peut tous changer. (Saison 4 épisode 8)


Juste après que son ami soit décapité par le Gouverneur, un homme qui NE PEUT PAS CHANGER, une fusillade meurtrière débute, un tas de gens meurt et court et le bébé de Rick est possiblement laissé pour mort, mangé par les zombis. Mais vous vous rappelez, l’espoir…


Peu importe. Et les Indiens… Quand j’ai commencé à regarder The Walking Dead j’ai immédiatement pensé aux Indiens. Et quand les gens me disent : « écoute, les Indiens, ils n’arrêtent pas avec le génocide et d’autres trucs du genre, et ils devraient juste dépasser tout ça », je marque une pause et je dis « bon, pensez à la série The Walking Dead… »


Lawrence Gross (c’est un universitaire et un Autochtone) parle de « Post Apocalypse Stress Syndrom » quand il dit que les Autochtones « ont vu la fin du monde » qui a produit « un énorme stress social ».


Les Indiens de Californie font souvent référence au système des missions catholiques espagnoles et à la fièvre de l’or comme à une « fin du monde ». Ce que ce qui ont survécu ont expérimenté était à la fois une « apocalypse » et une « post apocalypse ». Ce qui ressemblait finalement assez à des zombies leur courant après pour les tuer.


Pensez-y. Des mineurs (qui étaient en Caroline du Nord d’où je viens aussi) pensaient que c’était absolument normal d’avoir des « jours de chasse aux Indiens » ou d’organiser des milices pour tuer spécifiquement les Indiens. Ces milices étaient payées. On leur donnait 25 cents par scalpe et 5 dollars par tête (en 1851 et 1852 l’état de Californie débourse près d’un million de dollars pour payer les meurtres d’Indiens).



A la suite de quoi, pendant longtemps en Californie, si vous étiez un Indien passant dans le coin, quelqu’un ou quelque chose pouvait juste essayer de vous tuer. Ils couraient après votre scalpe et votre tête. Ils n’avaient aucun remords. Et vous ne pouviez pas raisonner avec eux. Et ils étaient bien plus nombreux que vous ne l’étiez. Des zombies. Mais pire encore, des zombies qui vivent et respirent comme vous, un peuple de zombies. Des zombies qui pouvaient vous regarder et vous parler et qui étaient supposés être humains. Gardez ça en tête. Les atrocités du génocide durant cette période ont été commises par des monstres – elles furent commises par des personnes. Des voisins. Des pères, des fils, des mères et des filles.


Dans The Walking Dead, les survivants utilisent des cachettes. Parfois, ils vont dans une ville et parviennent à peine à survivre à une attaque tandis qu’ils essaient de voler de la nourriture ou de récolter quelques provisions. Parfois ils se retournent les uns contre les autres. Parfois ils perdent des personnes dont ils sont proches. Parfois ils doivent tuer pour rester vivants. Le monde est un vaste chaos. Tout le monde est tendu. Ils ne dorment probablement pas beaucoup. Ils n’ont certainement pas de quoi manger. Ils tombent sans doute malades et meurent de la grippe, parce que c’est difficile de récupérer des médicaments, de se reposer et d’aller mieux – quand quelque chose est là à constamment vous chasser, vous et tous ceux à qui vous tenez. (l’apocalypse zombie semble sinistrement proche de l’histoire indienne de la Californie)


Combien de temps avant que vous ne disiez à ces types qui survivent à une apocalypse zombie de « passer à autre chose » ? Combien de temps avant que vous ne leur disiez que « c’était il y a très longtemps déjà » ou que « ça n’est pas la peine d’en parler, ça ne me touche pas ! Je n’étais pas là. » Combien de temps avant que vous ne prétendiez que ça ne fait pas encore partie des générations futures ? Combien de temps avant que vous n’effaciez le souvenir que l’apocalypse zombie soit réellement arrivée ?


J’ai posé ces questions un jour à quelqu’un et il m’a répondu « eh bien, ce n’est jamais la même chose après ça. C’est devenu une partie de ce que chacun est, ça ne s’en va pas. Je veux dire que c’est la fin du monde, bordel. Tu ne peux pas prétendre que ça n’est jamais arrivé. »


Exactement.



Réponse numéro 2 : J’aime leur parler des petits-enfants de Carl.




Carl est le fils de Rick dans The Walking Dead. Au début, je le détestais parce qu’il était stupide. Il es dans une apocalypse zombie et il se balade partout tout seul et il agit comme s’il pouvait seulement glander sans que personne n’ait besoin de lui. Puis soudain il devient un gros dur qui aime prendre des décisions, contrairement à son père, qui a en fait pris la seule décision qu’il ne prendrait plus de décisions. L’art de gouverner.


Peu importe, si vous y pensez – Carl, qui a traversé la fin du monde, ce qui signifie pour lui : faire son deuil, souffrir, tirer dans la tête d’un gosse parce qu’il était entré dans son campement, tuer sa mère après qu’elle ait accouché, voir son père devenir fou pendant un certain temps, se faire tirer dessus, voir son père tuer les autres figures paternelles (crétin de Shane), se faire tirer dans l’estomac, et finalement penser que sa petite soeur a été mangée par les zombies – eh bien, Carl est mon arrière-arrière-grand-père.


C’est vrai, ça ressemble à peu près à ça. Mon arrière-arrière-grand-père a vécu pendant le deuxième génocide des Autochtones de Californie. Mon arrière-arrière-grand-père a dû chercher à éviter les soldats Russes qui étaient après lui. Il raconte l’histoire de comment il a utilisé des roseaux pour respirer sous un banc de sable pour que personne ne le trouve. Il a été conduit à l’internat, puis il s’est échappé et a passé plusieurs mois en prison quand il était enfant. Il a été pris en chasse par des chasseurs de primes. Son oncle a reçu plusieurs coups de fusil, ceux de sa tribu ont été tués. Beaucoup d’arrière-arrière-grand-parents et d’arrière-grands-parents ont des histoires comme celles-ci. On n’est pas si éloignés de l’époque où les Autochtones furent massacrés au nom de « notre Grand Etat » parce que « c’était la seule chose chrétienne à faire ».


Par ailleurs, est-ce que vous saviez qu’on a présenté récemment une étude qui montre que les expériences de vos ancêtres laissent une trace sur vos gènes ? Ou comme le dit Dan Hurley de Discover Magazine :


« L’enfance insouciante de vos ancêtres ou leurs excellentes aventures peuvent changer votre personnalité, transmettre une anxiété ou une résilience en changeant les expressions épigénétiques des gènes de votre cerveau. »


Exactement.




Réponse numéro 3 : j’aime leur dire que je suis d’accord avec eux.


Attendez, quoi ?


J’opine du chef. « Oui, je suis d’accord; On devrait passer à autre chose. En fait, je suis déjà passée à autre chose ».


Attendez, quoi ?


Eh bien, je suis passée à autre chose. Je n’aime pas parler au nom de tous les Autochtones de l’univers parce que ce n’est pas juste, et on n’est jamais arrivé à un consensus aux réunions où on décide de comment tous les Autochtones de l’univers devraient ressentir ces choses (nous ne faisons pas ce genre de réunions, d’ailleurs, il n’y a pas beaucoup de Autochtones, nous sommes très différents les uns des autres, cette réunions serait énorme, mais j’irais probablement parce qu’il y aurait beaucoup de bonnes nourriture, de personnes et de rires)


Mais je suis passée à autre chose. Je n’essaye plus de faire en sorte que le gouvernement passe une loi qui sanctionne et légalise le génocide, l’esclavage et le déplacement des peuples Indiens. Je ne m’intéresse plus aux tentatives légales de prendre la terre et les droits des Autochtones grâce à des doctrines racistes, incohérentes, discriminatoires et franchement imaginaires telle la doctrine de la découverte (NDT : la fête de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb existe toujours aux Etats-Unis). Je ne m’intéresse plus à la doctrine de la découverte. Je ne m’intéresse plus aux pleins pouvoirs. Je ne m’intéresse plus à l’éloignement des enfants Indiens de leurs familles et à leur placement dans de « bons foyers », ce qui implique que les foyers indiens ne seraient pas assez bons. Je ne m’intéresse plus au fait que dans la plupart des lycées, les Autochtones représentent moins de 1% de la population, mais que dans certains états ils représentent entre 4 et 6% de la population carcérale. Je ne m’intéresse plus au fait que les femmes autochtones ont plus de chances d’être violées que n’importe quel autre groupe aux Etats Unis. Je ne m’intéresse plus au fait que près de 90% de la population des Autochtones de Californie ont été tuées durant cette période historique et que pourtant nous n’avons aucun monument ou programme scolaire enseigné dans les écoles. On a en revanche un monument et un programme scolaire qui parle du père Junipero Serra, qui aimait battre et affamer les Autochtones.



Je ne m’intéresse plus aux mannequins habillées en indiennes qui marchent dans les défilés et tirent la langue en parodiant nos ancêtres. Je ne m’intéresse plus aux t-shirts qui représentent des Autochtones utilisant de la drogue ou des vidéo clips qui font promeuve l’image d’une Autochtone qui aimerait être reluquée pendant qu’on l’attache à un mur (cf video clip de No Doubt). Je ne m’intéresse plus aux politiques qui empêchent les Autochtones de pratiquer leur religion et de regagner une terre dont il se sentent responsables. Je ne cherche plus une façon objective et bégnine de dire esclavage, genocide, holocauste, massacre, abattage, viol, harcèlement, violence et douleur parce que les gens n’entendent pas la véritable histoire de la Californie. Je ne m’intéresse plus à la disparition des Indiens. Même plus à cette vieille rengaine, celle où on préférerait être mort, celle où on disparaît lentement, celle où on a de plus gros problèmes que l’histoire, celle où le passé c’est le passé. Et je ne me dis plus que « passer à autre chose » revient à prétendre que ces choses ne sont pas arrivées. Je ne fais plus comme si les Autochtones n’étaient en train de gérer de plein de problèmes différents qui ont tous leur racine dans leur génocide, particulièrement en Californie. ça ne m’intéresse plus d’effacer le passé à la requête des gens qui préfèreraient l’ignorer, puis devraient aussi l’accepter « pour passer à autre chose. »


Je suis passé à autre chose. C’est pour cette raison que je n’arrêterais pas d’en parler. C’est pourquoi je PEUX en parler. C’est pourquoi je dois en parler. Demandez vous ce que ça finit que d’être « passé à autre chose ». Parce que pour moi, ça signifie « ne plus jamais l’oublier » à nouveau. Pour moi, ça signifie que maintenant nous pouvons réellement en parler. Entièrement. Et que nous devrions le faire.


Quand on arrête d’en parler, quand on arrête de se souvenir, quand on arrête d’honorer le passé, on devient ignorant de comment le passé est devenu le présent et deviendra le futur. On ne peut pas être complice de l’effacement du passé en « passant à autre chose ». Dans ces mots, quand on parle de notre survie, on envoie de la force à ceux qui se sont battus, qui ont saigné et son morts et on refusé de « passer » au dessus de ce qui leur arrivait. On refuse aussi d’accepter ce qui peut, devrait ou risque de nous arriver. On se tient debout. On se bat.


Nous leur devons de continuer de nous battre aussi durement qu’ils se sont battus. Nos ancêtres le sentiront alors comme nous sentons maintenant. Ils sauront alors que nous sommes là parce que nous ne sommes pas passés à autre chose.


Ils ont dû savoir ce qui nous arriverait, ce que serait leur futur. Ils ont dû penser à nous, leurs petits enfants, leurs arrière-petits-enfants, leurs arrière-arrière-petits-enfants. Certains Autochtones disent qu’ils pensent aux Sept Générations quand ils agissent. Quand nos ancêtres étaient tous assis ensemble, en train de parler, en train d’essayer de trouver un moyen pour survivre à cette « fin du monde ». Ils devaient se dire « vous pensez qu’on va s’en remettre ? »


Et ils ont dû penser aux générations futures (les nôtres). Peut-être qu’ils ont vu dans le feu certains d’entre nous rire ensemble, peut-être qu’ils ont rêvé de nous en train de chanter ensemble, en train de danser ensemble, et qu’ils ont alors trouvé la réponse : « oui, nous allons nous en remettre ».

Maintenant, c’est notre responsabilité d’aider les six prochaines générations à se souvenir. Nous pouvons tous nous en remettre mais nous n’oublierons jamais.

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