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Disney : Le queer est-il soluble dans le mainstream ?

Si on se rappelle qu’Ursula dans La petite sirène avait pour modèle Divine la drag queen, et si on se rappelle que le Into the woods (Promenons-nous dans les bois) que Disney vient d’adapter pourrait évoquer aussi l’épidémie du sida des années 80 de façon symbolique, on pourrait croire que Disney a une relation symbiotique avec la culture queer. Dessiner des sirènes ou des génies bleu un peu gym queen était peut-être un truc gay à la base. Je ne sais pas si être animateur chez Disney c’est comme être stewart chez AirFrance, mais je doute qu’on puisse dessiner autant de personnages barraqués sans un poil qui dépasse des aisselles ou du slip sans avoir idéalisé le corps masculin pendant des années. Mais la question est intéressante, parce qu’elle permet de saisir la frontière qui sépare le queer du mainstream. Et à mon avis, le queer reste non soluble dans le mainstream.


Comme les films de Disney relèvent la plupart du conte initiatique, les personnages de Disney sont organisées en deux catégories : il y a ceux qui évoluent, dont le voyage constitue l’intrigue principale et qui apprend aux enfants à grandir, et ceux qui n’évoluent pas, dont le caractère fixe les confine à être un personnage comique ou maléfique. Cette distinction est importante si on veut y voir clair.


La figure du héros


Le héros/héroïne connaît un parcours exemplaire. Il/elle doit donc quitter son "monde ordinaire" (comme l'explique Joseph Campbell dans le Héros aux mille visages) pour qu'il puisse répondre à l'appel d'une aventure. Cette aventure servira à rappeler au héros le caractère instable de l’identité de départ. Le monde ordinaire rétrospectivement apparaîtra comme une illusion, un château de cartes bien plus fragile qu’une cité alien construite en Lego : Aladdin était un voleur, c’est-à-dire un hors-la-loi, un hors-la-société ; Ariel était une sirène, c'est-à-dire par définition un personnage d'entre deux mondes ; Nemo (dans le film du même nom produit par Pixar) était né avec une nageoire atrophié, donc un inadapté.

Le héros/héroïne doit traverser un état marginal, un état d'instabilité, où il/elle est présentée comme différent (Aladin se travestit en prince, Ariel se change en humaine, et Nemo paraît n'être qu'une proie vivante pour les requins qui le regardent traverser l'océan...). Dans cet état, le héros/héroïne pourrait paraître queer, d'autant plus que chez Disney la magie change souvent son apparence de fond en comble.

Mais la finalité du film de Disney est la disparition de cette étrangeté. Par exemple, Ariel la petite sirène par exemple chante qu’elle veut plus que les autres poissons de son royaume, qu’elle ne se sent pas intégrée – alors que fondamentalement, elle vit dans l’équivalent d’un Beverly Hills pour les poissons. Mais à la fin de sa chanson, elle crie qu’elle veut avant tout s’intégrer à ce nouveau monde. Et puis quelques archétypes jungiens plus tard, bim ! deux jambes lui sont finalement accordées par Papa triton.



Le méchant


En revanche, les personnages secondaires, qui eux ne sont pas tenus de se prononcer sur une quelconque évolution normale de leur sexualité, ont toute latitude pour être queer. On a dit récemment que la Reine des Neiges était un film gayfriendly. Je ne sais pas si on peut aller si loin sans forcer l’interprétation. Mais à la limite le personnage le plus queer du film serait davantage Olaf, le bonhomme de neige, qui peut perdre ses membres, se déconstruire et se reconstruire. Qui plus est, il n’est pas capable de comprendre que sa place légitime n’est pas au soleil, et continue d’espérer pouvoir changer littéralement de nature.

Les personnages réputés queer ou gay sont toujours secondaires. Le génie d’Aladdin, théâtral et faussement macho, ou Scar, qui reprend les caractéristiques du méchant à la mode des années 50 : pédant et jouisseur.


Disney sait que le méchant particulièrement peut être queer. Le meilleur exemple est celui d’Ursula dans La Petite sirène qui ressemble délibérément à la drag queen Divine, et dont les tentacules qui gigotent à chaque fois qu’elle parle ont un côté véritablement dégoûtant et bizarre. Ou encore (ce n’est pas Disney mais) le dernier personnage très drôle de ce genre, c’était le méchant cacatoès dans Rio (1 & 2) joué par Jemaine Clement, Nigel. Le personnage est un acteur raté flamboyant mais ringard qui veut réduire le héros, un perroquet très rare, à n’être qu’une marchandise.

C’est un genre de méchant qui a toujours bien fonctionné, jamais ringard parce que d'une profondeur métaphysique aboslue. Ce sont des méchants qui ne croient pas à la nature des choses. Le modèle de tous ces méchants docteur Pretorius de la Fiancé de Frankenstein, qui parle de façon sophistiqué et jouait avec des petits hommes et des petites femmes dans des bouteilles, comme s’il était bien trop détaché du monde réel pour espérer comprendre autrement que d’une façon déformée les modèles masculins et féminins – Ursula elle aussi a son petit jardin de créatures artificielles, qui sont les anciens hommes et femmes qui lui ont demandé son aide et qui ont été changés en polypes. La théâtralité du méchant est toujours suspecte parce qu’au fond, il est celui qui ne croit pas, qui ne veut pas prendre au sérieux les conventions sociales. A ce titre, il est vraiment queer : il est sceptique quant au pouvoir expressif des performances de genre ; il ne croit pas à une nature profonde.



Relecture queer


Le problème de Disney est que les histoires ne peuvent pas maintenir longtemps un relativisme normatif concernant le genre. Il faut trancher. Grandir, du point de vue de Disney, c’est faire des choix et comprendre sa vraie nature.

Néanmoins, puisqu’il s’agit toujours de récits initiatiques, ils sont symboliques, ils doivent être décodés et éventuellement recodés. Les histoires de Disney sont donc assez facilement ouvertes à des interprétations, y compris des interprétations résistants aux normes que Disney lui-même promeut. C’est comme cela que fonctionne la pop culture : par une réappropriation de son propre public. On comprend alors que même si un film Disney peut se finir par un mariage, ça ne signifie pas que tous les personnages ou le spectateur s’identifiant à ces personnages respectent les normes du mariage. On peut reconstruire entièrement le récit à partir d’un point de vue dissident, comme c’est arrivé pour la Reine des neiges, en expliquant que la reine chantant « let it go » voulait en réalité faire son coming out dans son royaume.


Mais si je ne crois pas vraiment à l’aspect queer des personnages principaux, on peut dire aussi que le queer n’est pas précisément une idéologie révolutionnaire. Il n’est pas nécessaire d’être déçu par les films Disney si on comprend par avance ce qu’on peut attendre d’une queer theory. Dans la classification des théories de la construction sociale par Ian Hacking, la queer theory (Ian Hacking pense particulièrement à Judith Butler) n’atteint pas le niveau d’une théorie révolutionnaire. Le queer suppose de reconnaître 1) qu’il existe des genres qui auraient pu ne pas exister, et qu’ils sont donc construits et contingents, 2) et que ces normes de genres qui peuvent faire souffrir sont une mauvaise chose. Mais à aucun moment Butler par exemple propose de détruire lesdits genres pour aller vers un au-delà du sexe (ce qui du point de vue de Hacking serait révolutionnaire). Le genre peut simplement être l’objet de doute. Car en faisant proliférer ces genres on finit par leur faire perdre leur exemplarité, de la même façon qu’en faisant circuler beaucoup de copies, l’original perd de sa valeur. Les films Disney partage donc peut-être un objectif queer dans leur renoncement à toute vision révolutionnaire. A condition toutefois de poursuivre cette prolifération de genre et d’arrêter d’associer la monstruosité à la méchanceté.



Richard Mémeteau

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