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Penny dreadful : Seigneur, ne nous délivrez pas du mal

Penny Dreadful entame dans moins d’un mois sa saison 2. Loin d’être parfaite, la série de John Logan diffusée sur Showtime a tout de même le bon goût d’appliquer strictement le programme qu’elle suggère dans son titre. En effet, elle se pense directement comme la retranscription télévisuelle (et non cinématographique puisqu’elle se veut - précisément - un objet de consommation populaire qui retrouve l’essence propre du feuilleton) de ces petits journaux d’histoires macabres très populaires dans l’Angleterre du XIXe vendus pour un penny : les penny dreadful. Le maître mot de ces productions était le frisson, et la couverture souvent criarde annonçait clairement le genre qu’elles recherchaient : le grand guignol. Mais derrière cette surface de fête forraine, épisode après épisode, interrogeant au plus près les mythes de la littérature gothique, la série construit une étonnante réflexion sur le monstre et ce dont il est censé être l’incarnation : le mal.


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Il est intéressant de constater que le gothique - genre sombre s’il en est - s’installe à la suite du siècle des Lumières et fonctionne donc comme une sorte de réaction. En prenant pour cadre le Londres victorieux de la révolution industrielle, la série met bien en avant les plaies de cette rationalité qui a conquis la nature au détriment des hommes. Contre la lumière de la raison, le gothique de Penny Dreadful se situe dans l’obscurité des croyances. Si la plupart des romans gothiques se jouent loin des villes dans des châteaux isolés, ici le propos est de montrer que cette révolution de la raison a permis de trouver la solitude au coeur de la société des hommes. Beaucoup de scènes se passent donc dans les rues les plus pauvres de Londres au plus près de la misère qui ne semble pouvoir être soulagée, de brefs instants, que par les artifices du théâtre.


En transposant au coeur de Londres le célèbre théâtre parisien du Grand-Guignol, les auteurs glissent volontairement un indice supplémentaire sur le véritable projet que couve la série. Tout comme le Penny Dreadful, le grand-guignolesque est un terme péjoratif qui vise à décrier l’exagération dans l’horreur. La série devrait donc faire feu de tout bois pour susciter l’effroi. Cette impression de démesure en réalité se joue surtout dans la sélection des personnages principaux. Toute la littérature fantastique/gothique est convoquée et on a du mal à ne pas penser à La ligue des Gentlemen extraordinaires. Nous retrouvons Dorian Gray, Frankenstein et sa créature, le prototype de l’explorateur Sir Malcolm Murray, la Mina de Dracula ainsi que son infortuné fiancé Jonathan Harker, Van Helsing, un loup-garou et la très mystérieuse Vanessa Ives qui constitue le pivot de la série tout en incarnant une médium en prise avec ses démons… Si on ajoute à cela un décor très victorien et un soupçon d’égyptologie, on peut dire que le tableau est complet voire chargé. Pourtant si la mise en forme vise la surcharge jamais ce trop plein ne vient gâcher le pur plaisir feuilletonesque du rebondissement ni interroger les différentes ruptures narratives qui ponctuent la première saison.


La mise en scène est en effet étonnante et se construit sur une multiplication de ruptures comme si les showrunners essayaient les différentes possibilités narratives du récit horrifique en même temps qu’ils cherchent à épuiser les caractères emblématiques qui le constituent. Ainsi derrière la trame centrale (qui en gros se règle en 4 épisodes sur 8, soit la moitié de la saison), nous observons des variations autour du genre : la séance de spiritisme, l’exorcisme, la naissance d’un monstre, le récit de la généalogie d’un mal en scrutant l’enfance des protagonistes…


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Tout cela fait que cette série semble être une production méta qui ne se soucie pas tant de son intrigue que de la description parfaite du genre qu’elle tend à cerner. C’est cette déconstruction qui la rend si moderne voire postmoderne malgré à chaque fois des règles de narrations différentes mais tout à fait classiques. Cette volonté de construction/déconstruction s’incarne certes dans l’explication et l’exhibition d’un Penny Dreadfull mais plus encore dans les nombreuses scènes de théâtre qui ponctuent presque chaque épisode. Cela prend d’ailleurs une proportion étonnante au beau milieu de la série avec l’épisode 4 qui reconnecte à la fois les différentes histoires mais surtout révèle son procédé en faisant jouer sur la scène d’un théâtre l’épisode - celui-ci nous montre sur scène l’histoire précisément qu’il doit en tant qu’épisode d’une série raconter. La scène jouée, loin d’être anecdotique, livre le secret d’un des personnages principaux. Le théâtre joue donc pleinement son rôle de révélateur.


Si le procédé peut sembler cliché, cela est atténué par cette recherche consciente du cliché mais aussi sa façon de le détourner. La réécriture du récit de Frankenstein est ici exemplaire. Toute la saveur de cette ligne du récit repose sur la façon dont elle déjoue les attentes légitimes que nous attachons à cette figure populaire. La créature plus émotive que son propre créateur déjoue dans le tourment de ses sentiments sa raideur cadavérique. Elle est la preuve que la frontière entre la vie et les morts est ténue et se joue à un autre niveau puisque l’on peut être plus vivant mort qu’en vie.


Cette question de la limite, la série, toute entière, la pose à de nombreux niveaux et finit par incarner une sorte de traité tératologique sur le normal et le pathologique. Le personnage de Vanessa Ives est étonnant sur ce point et révèle dans l’histoire qui la suit la véritable complexité de la série qui sous un propos grand-guignol arrive à monter un raisonnement proprement par-delà bien et mal. La très belle scène finale de la saison 1 cherche en quelque sorte une raison à la monstruosité intérieure de Vanessa Ives qui occupe un épisode complet. Revenue des morts, elle s’interroge sur le sens qu’elle doit donner à sa vie et comprend que cette dernière se joue sur une prise de position face au bien et au mal. Peut-elle fuir ce qu’elle pressent être son destin ? Doit-elle se détourner du mal (cet animal grattant pour sortir selon ses propres mots) en l’ignorant complètement ? Ou au contraire lui faire face pour saisir à la fin ce qu’est vraiment le Bien ? Que reste-t-il finalement de la science (et des Lumières qui ont inondé le XVIIIe) face à certains drames qui ne peuvent être déjoués par de simples explications ? C’est à travers ces différentes interrogations que prend sens l’ultime question qui clôt la première saison : Voulez-vous vraiment être normal ?


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Ugo Batini

En Vitrine
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