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Hobo with a shotgun : la vertu de l'exploitation

Au sortir de Pulp Fiction et Jackie Brown, une chose était sûre : le Monde Entier (the Whole World) voyait et entendait avec les yeux et les oreilles de Quentin Tarantino. De films en films le cinéphile enragé avait su redonner au public le goût des longs monologues, des personnages border-line, des bande-sons impossibles, des péripéties abracadabrantes ainsi qu'à toute une panoplie d'autres ingrédients et de techniques narratives autrefois nanardisées sous l'étiquette embarrassante du film de genre. Aux côtés de la nostalgie prononcée de Tim Burton pour les films de monstres, il s'est avéré que tous ces éléments ont su redonner ses lettres de noblesse au registre et re-vivifier d'un coup d'un seul les fictions de l'époque.


En 2006, soutenu par son acolyte Robert Rodriguez, il osa l'impensable en renouant avec la sève même des films d'exploitation : l'approche drive-in, l'esprit grindhouse, poussant le vice jusqu'à reproduire (et délirer avec) les altérations de pellicule. Des amis et collègues se prêtèrent volontiers au jeu, réveillant avec de fausses bandes-annonces les zones érogènes les plus primales de tous les geeks de la planète : Rob Zombie et son Werewolf Women Of The SS (Nicholas Cage dans le rôle de Fu-Manchu en bonus-surprise) ; Eli Roth avec un Thanksgiving des plus visceral ; Edgar Wright et Simon Pegg et leur improbable Don't ; Robert Rodriguez avec un autre fantasme personnel qu'il saura également imposer au monde, j'ai nommé Machete, the very wrong mexican, the one you don't want to fuck with. Un concours de faux-trailers est également mis en place et permettra au gagnant, le jeune Jason Eisener, de rentrer dans la cour des grands, son Hobo With a Shotgun doté d'une mise-en-scène déjà bien assurée n'a rien à envier à ses collègues professionnels en termes de potentiel.


Avec ses personnages caricaturaux au possible, ses raccords marqués, sa bande-son en retard, ses plans absolument gratuits sur les anatomies des comédiennes, ses séquences étirées au suspens insoutenable, sa pellicule brûlée, sa bobine manquante... force est de constater que le Planet Terror de Rodriguez semble bel et bien avoir été conçu dans le plaisir et l'amour, contenant à lui seul la quintessence des codes du film d'exploitation. Certains critiques réussiront tout de même à parler d'autisme cinématographique ou encore de nostalgie impure et mal placée .. A ces inquisiteurs du bon goût j'ai envie de dire que je reste convaincu pour ma part que la fibre du projet Grindhouse était au contraire résolument tournée vers l'avenir, et c'est précisément là que le film de Jason Eisener intervient. Il sera ni plus ni moins que le chaînon manquant entre les productions indépendantes d'hier célébrées par le projet, et celles d'aujourd'hui. Peut-être était-ce dû à une économie de moyens, mais déjà le trailer avec son esthétique polaroïd dépareillée semblait plus proche du Combat Shock de Buddy Giovinazzo (années 80) que du cinéma bis des seventies . Mais une fois passé au format de long-métrage on s'aperçoit que celui-ci pourrait être rangé sans choquer personne aux côtés des plus prestigieuses productions Troma auxquelles Eisener emprunte leur chromatisme déluré, un esprit de critique sociale décapant (et surtout la même concision/ densité/ efficacité narrative). Et c'est par ce seul biais je crois, que nous venons d'exécuter ni vu ni connu un bond gigantesque dans le temps au pays du film d'exploitation, au point qu'il me semblerait définitivement plus « logique » d'affirmer que Hobo With a Shotgun constitue véritablement l'apothéose et la conclusion du projet Grindhouse, bien davantage que la trilogie Machete, dont la seule touche vraiment grind se situerait dans la séquence de flash-back qui ouvrent le premier volet, avec son festival de têtes coupées et ses « vrais-faux » coups de théâtre plus efficaces que tout le reste des péripéties des deux opus confondus. Le second degré jubilatoire de Planet Terror semble totalement absent de l'autre franchise de Robert Rodriguez, et la pellicule légèrement altérée n'est même pas là pour faire passer la pilule. Revenons donc plutôt à notre hobo et son fusil à pompe, dont on sait qu'il hésita longuement, au moment de l'achat, entre ça et une tondeuse à gazon (« iniquité iniquité.. »).


Un hobo (du nom que l'on attribue aux clochards américains qui sillonnent le pays en fraudant les trains de marchandises), dont nous ne connaîtrons jamais la véritable identité mais interprété par Rutger Hauer quand-même, arrive dans une petite ville perdue et réalise très vite qu'il est peut-être descendu par erreur dans le vestiaire des Enfers, car il assiste rapidement à la législature des plus romaines que le criminel local, un dénommé Drake, inflige à toute la ville. Il essaiera tant bien que mal de se tenir à l'écart de toute cette violence, jusqu'à ce qu'il ne le puisse plus.


Du fait de cette unité de lieu, on retrouve un peu un côté autarcique, isolé du reste du monde, qui faisait la singularité - et la force - du Street Trash de Jim Muro par exemple, ou encore une fois, des productions Troma, à savoir un lieu indéterminé mais théâtre de la toute barbarie humaine incarnée. Ici, les clochards s'avèrent les cibles de prédilection : on les traque et on les fait s'entre-tuer pour de l'argent, on leur éclate la tête entre deux auto-tamponneuses ou bien on les torture chez soi à la maison dans son garage. Au fil du récit, l'influence des productions de Lloyd Kaufmann se fait peu à peu incontournable. Mais ce n'est assurément pas la moindre des références. On résume un peu hâtivement les films Troma à leur pratique effrontée du splatter (comme un film de tartes à la crème, mais avec du vomi, ou bien encore n'importe quelle partie du corps humain, du moment qu'elle puisse être piétinée) en oubliant de souligner également les qualités techniques de ces réalisations : une seule (je dis bien une seule) de ces productions est dix fois plus narrative en dix minutes que n'importe quel film « respectable » , une densité narrative (une façon bien particulière d'envoyer une tonne d'informations à la seconde) valant bien les grands discours pompeux du reste des auteurs et de productions un peu plus institutionnalisées - en plus d'être de petites perles à l'écran en terme de mise-en-scène.


Une séquence particulière me vient par exemple à l'esprit: après que l'on aie assisté aux fantaisies corporelles que l'on puisse infliger à des clochards avec des auto-tamponneuses à l'arrière d'une salle de jeux, une petite frappe casse le bras d'un nerd qui lui devait de l'argent et explique comment « ne plus sentir la douleur » en mettant le nez dans la coke à tout le monde - y compris au nerd, qui oublie instantanément qu'il vient d'être malmené .. Y-a-t-il vraiment autre chose à ajouter ? Il m'en coûte de ne pas rentrer davantage dans le détail d'autres scènes, tant le film accumule les moments anthologiques, j'en ai peut-être même trop dit en brossant le portrait de l'ambiance particulière qui règne sur « Junkville » la bien-nommée. Surtout, le film d'Eisener demeure d'une générosité indescriptible vis-à-vis du spectateur, faisant s'entrechoquer tous les éléments de son intrigue jusqu'à leur paroxysme (les personnages secondaires ; la galerie d'opposants complètement hallucinatoire, ..) pour l'entraîner dans un voyage au bout de la nuit des plus effréné - la qualité des éclairages et des chromatismes employés sont un régal pour les yeux à chaque instant.. Hobo With a Shotgun est en tout point, un véritable aboutissement. Et last but not least, par sa seule présence, et son charisme incandescent (que l'on retrouve absolument dans le Dracula de Dario Argento) Rutger Hauer nous rappelle que les meilleures répliques de Blade Runner n'étaient pas dans le script, et se fait de nouveau l'incarnation d'un certain esprit de résistance, esquinté par le temps peut-être, mais bel et bien encore présent.


Nonobstant2000

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