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True Blood, un manifeste rétrolutionnaire 

Il est assez surprenant de constater que le vampire dans l’imaginaire collectif soit passé d’un monstre redoutable et repoussant à un gentleman distingué dont les capacités surhumaines ne sont désormais plus uniquement physiques mais aussi intellectuelles et artistiques. Si à l’époque, le succès de ce personnage reposait sur l'ampleur de son pouvoir séducteur qui conduisait ses victimes à la tombe - dessinant alors une sorte de morale contre l'amour destructeur - il est aujourd'hui complètement revisité. Le vampire comme monstre dissimulant maladroitement ses pulsions terribles et incontrôlables s'est muté en personnage raffiné et cultivé, capable de se contenir au point de ne plus être le prédateur qu'il était.


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Le dernier Jarmush (Only Lovers Left Alive) met en scène l’idéal du vampire moderne que l’on pourrait aisément qualifier de dandy. On peut rapidement cerner les éléments qui le spécifient, et qui sont des déclinaisons de ses caractéristiques classiques (mort-vivant, éternel), comme suit :


• Le vampire moderne porte ce qu’il y a de plus attrayant pour nous dans le passé par son vécu et ses rencontres (Marlowe est lui-même un vampire, Mozart et Schubert d’anciens amis…)


• Il permet un questionnement sur le sens et l’intérêt que peut avoir le fait d’être humain à travers les tensions internes qui le tiraillent du fait qu’il soit à cheval entre son humanité et son inhumanité.


• Il permet de réaliser le fantasme de l’éternité, cette fois sans contrepartie (c’est-à-dire, sans qu’il soit forcé de se nourrir de sang humain)


• Il faut aussi l’évoquer : il s’accompagne sans cesse d’une bande son rock n roll (on notera la récurrence quasi constante de Black Rebel Motorcycle Club dans les films/séries de vampire)


Le premier élément explique pour une grande part le succès de la figure moderne du vampire. Il permet, en terme de construction narrative, un ancrage de l’intrigue dans le passé sans pour autant quitter le présent. Les nombreuses rétrospectives introduites, dont certaines remontent à la préhistoire, suppriment les contraintes temporelles et autorisent de fait le maintien d’une cohérence narrative tout en mêlant plusieurs trames et plusieurs époques. Mais ce même succès peut aussi cacher une problématique des plus pessimistes par rapport au futur. En effet, le personnage historique par définition qu’est le vampire apporte aussi les traditions d'une époque passée qui vont en conséquence s'opposer et se mêler aux mœurs du monde qu'il pénètre. Le succès d’un tel personnage peut être dès lors vu comme le cas particulier de la tendance généralisée d’un engouement pour le passé. Pour autant, le délaissement de l’avenir au profit d'un éloge du passé ne doit pas être conçu comme un conservatisme : on le perçoit aisément dans True Blood. Il s'agit plutôt de quelque chose que l'on pourrait désigner par le terme de « rétrolution ». Il n'est en effet pas question d'abandonner le progrès sociétal réalisé au cours des derniers siècles, mais plutôt d’adapter ce progrès aux valeurs traditionnelles et idéaux du passé pour créer un environnement où la tolérance et l'acceptation vont de pair avec des valeurs telles que le respect et la loyauté.


La ville de Bon Temps autorise justement une mise en lumière de ces tensions entre progrès et valeurs traditionnelles. De ce point de vue là, on aurait même pu imaginer la série sans aucun élément surnaturel. Il suffirait de garder la ville telle quelle et de lui introduire tout autant d’étrangers ou de queers qu’il y a normalement de vampires, loup garous, métamorphes, fées, et autres créatures. Le décalage serait plus ou moins le même, et la grande problématique aurait été de savoir comment les habitants de la ville seraient parvenus à les intégrer. Mais ce décalage, avec la présence des personnages surnaturels et surtout celles des vampires, est rendu plus complexe encore. L’idéal conservateur est effectivement mis en crise par l’arrivée de ces créatures alors même que l’une d’entre elles, le vampire, est paradoxalement la personnification de cet idéal en question par son attachement aux valeurs passées. Alan Ball nous propose donc d'une part une tension sociétale qui nous fait réfléchir sur la tolérance par le biais de l'affirmation des créatures surnaturelles dans une petite ville de l'Amérique profonde, et d'autre part une crise générationnelle qui oppose les valeurs traditionnelles auxquelles sont attachés les anciens vampires (j'entends par anciens ceux qui ont été transformés il y a plusieurs décennies) aux libertés et principes acquis par les humains.




Je ne reviendrai pas sur la première question puisque celle-ci a déjà été traitée par Richard dans un article précédent. Déterminons donc ce que signifie la rétrolution à travers l'analyse de notre deuxième constat. Les derniers épisodes de True Blood sont un véritable manifeste rétrolutionnaire qui nous conduisent - nous aussi - à nous interroger sur la portée d'un tel mouvement.


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Dans les derniers épisodes, au fur et à mesure que l'hépatite V se propage dans le corps de Bill Compton et qu'il s'approche donc de la mort, il renoue avec son humanité. Ce processus le pousse à révéler ses désirs qui remontent à un passé où il était mortel. C'est ainsi qu'il incite Jessica à épouser Hoyt avant de mourir, n'ayant jamais pu voir sa fille se marier lorsqu’il était humain. On assiste alors à un mariage de dernière minute où sont réunis pour la dernière fois au complet les personnages de la série, comme dans un dernier au revoir. La tension est à son maximum, l'hépatite se propage plus rapidement que la normale à cause du vecteur d'infection particulier qu'est le sang de fée. Bill est de plus en plus affaibli, à un tel point que Sookie parvient désormais à lire ses pensées. Et ce faisant, contrairement au premier épisode de la saison 1 où elle était submergée par toutes les pensées mauvaises des clients du Merlotte, elle entend Bill se dire à quel point il l’aime et à quel point il aurait voulu lui offrir ce que Hoyt offrait à Jessica. La pureté des dernières volontés de Bill qui devient humain en même temps qu’il trouve la mort est une pureté surhumaine qui semble alimenter l’idéal rétrolutionnaire que Alan Ball nous expose. En effet, c’est à la fois un amour classique, en ceci qu’il nous apparaît comme matérialisant l’idéal même de l’amour dans le cadre du mariage, mais il est aussi moderne puisqu’il unit vampire et humain (ou dans le cas de Sookie, vampire et fée).


L’amour de Bill et Sookie est donc ravivé lors de cette dernière saison. Comme l’explique Bill, tous deux sont condamnés à s’aimer par le destin, et c’est la raison pour laquelle il veut se donner la mort. Il souhaite, par amour pour Sookie, disparaître pour lui offrir la vie qu’il n’a pu connaître. En demandant à cette dernière de lui donner la mort grâce à ses pouvoirs de fée, il a l’intention de rendre à celle-ci sa normalité - elle cesserait d'être une fée et par là même d'attirer les vampires à elle. Face à une telle proposition, Sookie refuse d’abord puis semble revenir sur sa décision. Elle se rend à l’Eglise et demande conseil au révérend :


Sookie : « Do you believe that god made us all as he meant us to be or do you think that some of us are just mistakes ? »


Même Sookie, qui était pourtant une des seules de Bon Temps à défendre, quelques soient les situations, la condition des êtres surnaturels (étant elle-même une fée), semble douter de la légitimité de l’existence de ceux-ci. Peut-être ne sont-ils tous que des créatures accidentelles qui ne sont là que pour semer le trouble au sein des humains. La réponse du révérend, paradoxalement, semble pourtant ne pas aller à l’encontre de la population non-humaine :


« god made intelligence for us to exercice our free will »


Il semble contourner la question mais sans pour autant remettre en cause l’existence de l’autre, comme si l’Eglise, l’institution traditionnelle par excellence, avait accepté la différence et le progrès lors de l’arrivée de tous ces êtres non-humains.


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Entre désuétude et sexytude...


A la fin de cette discussion, Sookie laisse entendre qu’elle mettra fin à ce qui a construit l’intérêt de True Blood au départ. Elle rentre chez elle, se met une fois de plus en habit de deuil, et s’apprête à donner la mort à celui qu’elle aime. Ce n’est qu’au dernier moment, celui où elle doit une dernière fois utiliser ses pouvoirs pour mettre fin à son existence surnaturelle et à celle de Bill, qu’elle nous révèle ses intentions. Elle choisit de rendre à Bill la mort qu’il désirait avoir, mais décide de s’accepter et d’accepter la condition du monde tel qu’il est, c’est-à-dire, d’un monde où cohabitent humains et créatures surnaturelles. C’est une acceptation décisive de la différence de la part de Sookie, alors même que le choix de Bill de mourir pour sa bien-aimée cristallise l’idéal classique de l’amour le plus pur : un sacrifice pour le bonheur de l’autre qui se solde par la mort. Sookie va de l’avant mais respecte le choix classique de celui qu’elle aime : tous deux inscrivent ainsi leur amour dans un double rapport au progrès : l’une l’épouse par une acceptation qui aura pris 7 saisons, l’autre le contourne pour donner à celle qu'il aime une vie meilleure à ses yeux. Mais les valeurs traditionnelles de Bill n’en font pas pour autant un symbole conservateur. Il faut bien noter que la demande qu’il fait à Sookie n’est pas une demande conservatrice qui accuse un amour hors-normes. En effet, Bill est précisément la personne qui engage le mariage entre Hoyt et Jessica, donc entre un humain et un vampire. S’il veut mourir, ce n’est donc pas parce qu’il n’accepte pas la différence, mais plutôt parce qu’il veut pouvoir offrir à Sookie ce qu’il y a de plus important à ses yeux : un idéal de vie traditionnel que celle-ci réalise effectivement à la fin de l’épisode. Bill ne va donc pas contre la différence, il accepte le progrès mais choisit de lui ajouter les formes hiératiques du passé. Le commun accord qui mêle, par voie de conséquence, les deux choix des personnages principaux, représente le dernier et très certainement le plus important symbole rétrolutionnaire de la série.



L'interrogation qui subsiste est naturellement d'ordre sociétal : alors que les séries dont l’histoire est établie dans le passé (Downton Abbey, Mad Men, Boardwalk Empire...) ont plus de succès que les séries futuristes (voir Star Trek: the last hopeful sci fi about the future), ne doit-on pas voir dans le vampire quelque chose comme une nostalgie généralisée du passé qui se manifeste dans l'élaboration d'une figure romantique et torturée, profondément rattachée aux valeurs traditionnelles, qui traverse les problématiques et progrès sociaux du temps et outrepasse la mort mais reste toujours classique dans son mode d'être ? La réponse à cette question et qui est celle qui conclut True Blood, est qu'il faut persister dans le progrès et délaisser les perspectives sombres du futur, mais sans pour autant abandonner ce qui faisait l'intérêt et la grandeur des valeurs passées. Le rétro-progressisme ou, plus encore, la rétrolution proposée par Alan Ball et personnifiée par l’amour de Sookie et Bill fixé par le dernier épisode nous montre de la sorte que les deux extrêmes que sont les valeurs passées et les progrès futurs ne sont et ne doivent pas être antagonistes mais bien aller de pair pour ouvrir la voie vers un horizon plus prometteur.


Myma

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