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Hélène, Zemmour et les garçons…

L’un des arguments pivots de l’essai de Zemmour, le Suicide français, est de dire que la barrière des sexes a été dissoute aussi rapidement et sûrement qu’un euro jeté dans un verre de coca. Des années et des années de laxisme moral et politique sont condensées dans un série télévisée qu’on ne croyait pas à ce point corrosive : Hélène et les garçons.

Il faut prendre le chapitre « 1992 », et frémir devant l’exactitude de la date. Tout se passe comme s’il s’agissait plus qu’un simple fait. C’est un événement, un crime, un tournant : le « 11 mai 1992 » !


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Du 11 mais au 11 septembre : la chute de la civilisation


« L’objectif pédagogique n’est plus : « tu seras un homme, mon fil », mais plutôt : « tu seras une femme, mon fils ! » Et le chroniqueur de conclure : « La jeune fille est l’avenir de l’homme. »

Plusieurs (les humoristes Canalplus – incluant Augustin Trapenard) se sont moqués de cette analyse par le seul fait que Zemmour s’appuyait sur la culture populaire, et notamment sur cet étrange feuilleton, instantanément ringard et de mauvais goût. Mais personne n’a osé défendre Hélène et les garçons contre l’analyse de Zemmour. Même ceux qui pourtant vivent de cette culture populaire et de sa chronique ininterrompue (par exemple Canalplus).

Peut-on discuter la substance de son argumentation (la réponse d’AB Produtions est simplement de dire : la série a bien marché ergo ce n’est pas de la merde). Un tweet assez drôle de Mouloud Achour résume le débat : « Eric Zemmour is the new Nabilla ». Car Zemmour finalement clashe aussi inutilement que la plus inutile de toutes les starlettes de téléréalités. Le monde du divertissement ne se sent pas concerné. Aucun destinataire connu à cette adresse, donc retour à l’envoyeur. Mais on suggère aussi par là que parler de culture populaire ou d’histoire culturelle pour défendre une thèse politique semble incongru et absurde. Si ridicule qu’il ne serait même plus utile de contre-argumenter. Je ne crois pas qu’on puisse encore ignorer longtemps tous les efforts qui ont été faits pour dire l’inverse. On peut discuter du fond. Notre réponse ne peut pas se limiter à une vanne n’excédant pas les 140 caractères.

D’une certaine façon, le débat lancé par Mélenchon sur Assassin’s Creed avait au moins le mérite – le même que Zemmour – de faire parler la culture populaire, d’y reconnaître un interlocuteur légitime. Est-ce uniquement le fait des populistes ou est-ce seulement la reconnaissance d’une réalité ? J’espère que c’est la deuxième option qu’il faudra retenir. Parce que je prends moi aussi au sérieux ce dialogue…



La méthode


…Mais je n’en tire pas les mêmes conclusions que Zemmour (ou que Mélenchon pour ce qui est du débat sur Assassin’s Creed).

Une caractéristique des billets de Zemmour est leur incohérence qui n’est sauvée que par la vivacité d’un style propre à séduire un book club de bourgeoises. Attention, fait réel : Zemmour se déplace dans votre book club, même s’il est exclusivement féminin – il ne résistera pas au plaisir d’être le Trissotin de ces Femmes Savantes. Le fantasme ultime consistant à draguer et insulter en même temps. Du hate fuck d’honnête homme.

Ce que le polémiste a oublié, c’est qu’il existe quelques règles à respecter pour proposer une analyse probante.

D’abord, décrire correctement l’oeuvre (analyse iconographique).

Ensuite, replacer cette oeuvre dans son contexte et cerner les modes de réceptions de ladite oeuvre (analyse iconologique).



Une description absurde


Or, dans le cas du Suicide Français, tout part en cacahuète dès le début. Il suffit de voir la description qu’il propose de la sitcom.


« Les filles racontent leurs histoires de coeur ; les garçons aussi. Ils sont sentimentaux en diable. Ils aiment ou s’interrogent sur leur amour. Si on ferme les yeux, on ne sait pas qui parle, fille ou garçon, indifférencié… »


Cette description est inquiétante. Car ce qui était risible dans la série est de voir à quel point ces jeunes étudiants était ridiculement adultes, grands, poilus, musclés.

Alors quand un pourfendeur de la théorie du genre et de l’indistinction sexuelle se met à écrire que fermer suffit à confondre les filles et les garçons, on commence à comprendre à quel point la différence sexuelle lui paraît précaire. Et aussi combien il est crucial pour Zemmour de la défendre pour compenser son absence de discernement.

Je peux apporter mon humble témoignage : même en fermant les yeux, il m’était difficile de confondre Hélène avec Nicolas. Ah et s’il s’était agi uniquement de parler par métaphore, ou de dire que c’est leurs paroles qui devenaient indistinctes, là encore, c’est une description pour le moins surprenante. Le ressort narratif essentiel d’Hélène et les Garçons consistait à civiliser, à « déconnardiser » (dirait Titiou Lecoq) les garçons qui était tous, très spontanément débiles et incapables de se comporter romantiquement. Leurs vies consistaient à glander dans un garage en attendant qu’une fille les oblige à travailler.



Incapacité à définir le contexte de réception d’Hélène et les garçons.


Mais la contradiction majeure réside quelques lignes plus loin :


« la série attira chaque jour 6 millions de téléspectateurs, avec des audiences atteignant jusqu’à 50% de parts de marché, dont 90% de filles de 7 à 24 ans. »


Zemmour donne la cause de sa colère et pourtant l’ignore pour se donner une raison d’être encore plus rageux. Car de quel public s’agit-il ? D’un public majoritairement féminin, comme il l’écrit lui-même. A 90%. Comment s’étonner que l’angle soit donc lui aussi… « féminin » et de la façon la plus stéréotypée qui soit ?!

Qui plus est, il s’agit d’une série pour les jeunes filles. Au lieu des habituelles bluettes pourrait-on

leur expliquer à quel point la popularité récente de la pratique de la fellation est déterminée par la nécessité économique dans l’industrie du porno de faire des scènes plus courtes et donc plus rentables ?

Zemmour conclut en disant qu’Hélène et les garçons est « un marqueur générationnel pour les adolescents de l’époque ». Mais c’est faux, là encore. Il l’est pour les adolescentes. Zemmour est le premier à nier les différences sexuelles qu’il aimerait promouvoir. Au fond, il réagit à sa propre tendance à ne plus avoir assez de différence sexuelle dans sa pensée.

Si vous demandez à un gamin qui a grandi à cette période (donc moi par exemple), mes propres références ne sont pas du tout celles d’Hélène et les garçons. Je ne le regardais qu’en attendant de retrouver mes mangas de garçons ultra-violents et macho. Et si on pouvait l’éviter, on le faisait.

Quand on revient à la réalité, il n’y a plus aucun doute. Ecrire l’histoire culturelle de la France des années 90 en citant Dragon Ball Z, Les Chevaliers du Zoodiaque Niki Larson ou Ken le Survivant vous donne un tout autre résultat. C’était le règne du Shonên, ces mangas pour petits garçons. Les filles sont très souvent réduites à des rôles d’esclaves sexuelles pleurnichant, prêtes à être violées.

Il n’y a qu’un ou deux personnages féminins véritablement forts qui empruntent alors mécaniquement tous les traits distinctifs des hommes (Laura dans Niki Larson, par exemple). Mais ces mêmes mangas étaient assez riches en situations de confusion de genres pour rendre son monde fascinant : Ranma se change en fille quand il touche de l’eau chaude. Le Chevalier Andromède a l’air d’une drag queen en perruque violette. Et heureusement, quelques shojo (mangas pour filles, comme Sailor Moon, ou Juliette je t’aime) rétablissaient un peu l’équilibre – changeant cette fois-ci les hommes en créatures précieuses, presque tous eau-de-colognées et grimés pour répondre aux fantasmes du public.

Il n’y a pas à douter une seconde : une fois de plus Zemmour parle de ce qu’il ne connaît pas.


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La vraie victime de cette histoire : la mode.

Bonus


Est-il plus pertinent sur ses sujets favoris ? Le divorce, la domination masculine qui étant contrariée conduit la société à sa perte… tout ça est résumée là encore dans une chanson populaire.


« Magie de la chanson populaire. Toute l’histoire du divorce nous était annoncée en quelques vers. »


En fait de résumé, Zemmour en propose trois : "Les Divorcés", de M. Delpech, "Viens, viens", de Marie Laforêt, ou "Le Téléphone pleure", de Claude François.

Y a-t-il une quelconque unité ici ? En deux ans d’écart, Delpech chante le divorce heureux et sans accro (alors là ce serait le résumé de l’époque parce que c’est de l’idéologie), Marie Laforêt chante la fin déchirante des familles (ce serait un résumé parce Laforêt capte l’essentiel de la séparation de la réalité - mais pas vraiment du divorce…), et Claude François chante le WTF d’un mec qui veut récupérer sa meuf mais n’est même pas capable de dire à sa fille qu’il est son père.

Pensez-y, "Le Téléphone pleure" n’est pas une chanson sur le divorce ou la fin des pères… c’est littéralement un type qui téléphone pour récupérer sa femme, et qui n’en a rien à faire de parler à sa fille. Il n’arrête pas de demander après son ex ! Dans sa version américaine, au moins. Car dans la version française le père ne dit même pas qu’il est le père de la petite fille, alors qu’il n’arrête pas de l’avoir au téléphone par accident depuis déjà plusieurs années (malgré son âge, la petite fille ne sait même pas qui est son père) ! Le drame sous-jacent de cette chanson révèle une psychologie plutôt torturée. Comment dire de cette chanson qu’elle condense un quelconque Zeitgeist ? Ou alors un Zeitgeist imbibé d’alcool qui est relou au point de ne jamais laisser partir sa femme et assez lâche pour ne rien dire à sa fille…

Donc oui la chanson populaire a chanté le divorce, mais a-t-elle adopté un discours clair sur le divorce ? Non.

Zemmour présuppose la simplicité de la culture populaire pour valoriser sa propre interprétation de chansons au contraire complexes et contradictoires. Je veux bien que la culture populaire se présente comme faussement simple, et que toute la magie et la grâce consistent à faire oublier les artifices nécessaires. Mais on ne peut pas faire passer cette simplicité pour une vérité sans une bonne dose de mystification et de mauvaise foi.

Ce que refuse de faire le « déconstructeur des déconstructeurs » c’est simplement de se pencher sur la nature de la culture populaire pour l’écouter et entrer en dialogue avec elle.


Richard Mémeteau

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