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Un poisson dans la tête

Tout ça pour dire qu'on ne parle pas assez de David Lapham. Bien avant que Robert Kirkman n'attire tous les projecteurs sur lui avec sa petite série éditée en dehors des grosses majors, sous un label indépendant où pour une fois les auteurs touchent des droits, David Lapham était déjà pionnier dans ce domaine aux côtés d'autres artistes prestigieux ( Jeff Smith ; Dave Sim ; Daniel Clowes) aux premières heures de la grande percée de l'auto-édition dans les années 90. Jusque là dessinateur de super-héros chez Valiant, Lapham franchit le pas et crée avec son épouse le label El Capitan et met à genoux l'ensemble de la profession avec sa série noire, STRAY BULLETS, dont on ne mesure pas encore tout à fait l'impact à ce jour chez nous du fait de deux tentatives d'éditions en France pas très réussies (changement de format, de typographie, etc.) tandis que l'auteur à la même époque était couronné de récompenses Outre-Atlantique. Il y a beaucoup à dire sur cette série et je compte bien y consacrer un article digne de ce nom ultérieurement, les lecteurs français peuvent toutefois se faire une idée plus juste du travail de Lapham grâce à la très belle édition chez Delcourt de MURDER ME DEAD (sous le titre TUE-MOI A EN CREVER) et comme c'est un ouvrage qui a plutôt eu bonne presse, parlons d'un autre, un peu moins connu mais tout aussi réussi, SILVERFISH, édité chez nous par Panini.


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L'une des qualités qui font absolument la force du travail de Lapham réside dans son emploi d'un gaufrier de quatre strips pour la mise-en-page de ses planches. La majorité des comics américains oscillent généralement entre 3 ou 4, 6 quand vraiment ils intercalent des demi-cases horizontales que l'on pourrait qualifier de « demi-strips ». Le gaufrier de 4 c'est un peu plus rare, et Lapham l'emploie vraiment comme maître-étalon pour l'ensemble de ses narrations en guise de socle (parfois 2 strips entiers deviennent une seule et même case, ce qui permet d'apprécier d'autant mieux la fluidité de son trait. En fait il n'y a que les auteurs d'Heroic-Fantasy/ Science-Fiction/ Aventure français – à quelques rares exceptions près – qui n'ont toujours rien compris et qui eux, continuent de mettre 8 ou 10 strips par pages, mais je disgresse) et qui vient immanquablement donner une dimension cinématographique à son travail, qui plus est renforcée par une légère notion de sur-découpage tout à fait propre à l'auteur : une façon de décomposer l'action qui ne ralentit jamais le récit mais au contraire l'accélère, procédé absolument parfait pour montrer l'escalade de la violence à partir de scènes de la vie de tous les jours. Et je ne vous parle pas du rythme frénétique des scènes d'action à proprement dites ! Cette dimension est tout à fait pregnante dans les autres œuvres de Lapham, et encore plus définitive dans SILVERFISH que la critique américaine a défini volontiers comme un film de John Carpenter qui n'aurait jamais vu le jour. On a vraiment l'impression en effet d'être confronté clés en mains à un story-board (ultra-finalisé bien entendu) pour un éventuel long-métrage à venir.


Là-dessus s'ajoute le talent d'écriture de l'auteur, car oui c'est « encore » une histoire de serial-killer, mais abordée davantage sous l'angle des codes du film-noir utilisés à plein régime, rappellant les premiers films des frères Cohen, ou même encore le légendaire PSYCHOSE d'Alfred Hitchcock car sous-couvert de chronique de la vie de tous les jours, Lapham fait basculer son récit à coups de flash-backs judicieux, délivrant ainsi l'histoire secrète de quelques personnages qui viendront faire craqueler le vernis sage des apparences. Je parlais un peu plus haut de la fluidité du trait de l'auteur, qui pour une fois fait une entorse à son usage habituel et superbe d'un noir et blanc contrasté en ajoutant ici quelques nuances de gris par le biais d'un mouchettage discret, à l'image du poisson argenté qui contamine la psyché instable du tueur , éclairage inexpliquable au premier abord mais source en réalité de la menace implicite qui plâne sur les personnages.


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SILVERFISH de David Lapham

(DC/ VERTGO- 2007)


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