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Le retournement de l'insulte - la suite : Hercules and the love affair

En parlant du retournement de l’insulte, un ami m’a aussitôt envoyé un lien.

Les Hercules and the love affair sont les porte parole du freak, du queer et du renouveau de la disco depuis déjà un bout de temps. Ils sont très délibérément queer. A la fois par leur musique (un hommage perpétuel aux musiques noires et gay), leur collaboration et par leurs paroles.

Et les paroles de « my offense » ont l’air d’être tiré d’un bouquin de queer studies. Le précédent album ne m’avait pas donné l’impression d’un tel niveau de théorie.



« My essence is my offense. » (mon essence est mon insulte) est un concentré du projet identitaire d’Hercules and the love affair. Je ne reprends pas la choré depuis le début, mais disons que le titre annonce à la fois la reconnaissance que l’identité commence par les autres et leurs insultes, et l’affirmation qu’une réappropriation est possible (reclaiming). Ils reconnaissent qu’il existe une insulte, mais reconnaissent aussi la possibilité de la faire sienne : « My offense ».

Comment se déroule ce reclaiming ? C’est un mystère plus épais encore que la persistance des comédies françaises dans les salles de cinéma. La difficulté était celle que j’avais souligné juste avant en disant qu’on ne pouvait pas garantir les emplois vertueux de l’insulte.


Dans sa version clip, cette chanson est presque un manifeste. Plusieurs personnalités de la scène queer (Contessa Stuto, Honey Dijon, Cakes Da Killa, Kalup Linzy…) expliquent ce que « cunt » signifie pour elles. La conclusion de cakes da killa est assez claire – si l’on se permet de traduire un peu librement le terme « cunt » par « super chatte en feu » (« cunt » est la version plus plus de « pussy ») – : « être une super chatte en feu est en gros le plus grand compliment que vous pouvez recevoir ».

Juliana Huxtable précise bien que le mot est fait pour dénigrer de la façon la plus injurieuse qui soit. Mais l’alchimie de ce retournement repose sur le fait que tous ces artistes reprennent pour eux-mêmes le terme comme un titre honorifique. C’est toute la magie. « C’est un mot puissant, c’est un mot magique, c’est mot de New York ». Entendez par « New York » la communauté queer de New York, et on retrouve l’idée qu’il faut une communauté vertueuse à l’origine de la transmutation de l’insulte en compliment. Par communauté vertueuse j’entends un ensemble de personnes déterminés à employer le mot dans un sens non discriminant.

Ce qui m’a arrêté la première fois quand j’ai vu la vidéo est que rien ne vient freiner l’idée que « cunt » peut être et rester une simple insulte. Le visuel du clip (des portraits qui baignent tous dans la même musique, dans les mêmes couleurs), tout servait à faire comme s’il existait vraiment un endroit sur Terre où on pouvait tous se dire « Hey, salut super chatte en feu, t’es à l’aise avec ton ultra-féminité aujourd’hui ? ».

Or ce monde n’existe pas. Enfin, peut-être pendant les fêtes et concerts que la Cunt Mafia organisent à Williamsburg. Mais « dans la vraie vie », me disais-je, rien « dans la vraie vie » ne ressemble à ce que ces artistes (que j’aime pourtant) me racontent. Tel que je vois les choses, j’ai toujours l’impression qu’un mec peut vous mettre une claque au moment où vous riez béatement de joie dans la rue. En philosophie, on parle de contingence. Mon erreur est d’avoir supposé un demi-instant que ce clip me parlait du monde tel qu’il était.



Le but de ce clip n’est peut-être pas de dire ce qui existe vraiment. Mais de modifier mon idée même de ce que j’appelais la « vraie vie », ou le « vrai monde ». Je dois maintenant inclure dans ce « vrai monde » (qui n’était qu’un préjugé peu étayé) la possibilité de tomber sur des gens qui portent beaucoup de motifs léopard et qui me disent « cunt » pour complimenter ma féminité (au lieu de frémir devant mon super pouvoir de vrai mec barbu qui fout une raclée à tout le monde en jouant El Fuerte à Street Fighter 4).

Si d’autres que moi sont convaincus par l’emploi honorifique de « cunt » (et si jamais on trouve un équivalent français pour complimenter la féminité de quelqu’un en s’appuyant sur un mot d’argot désignant le vagin), ce monde dont on parle adviendra. Au fond, cette communauté vertueuse est moins actuellement existante, qu’appelée à l’existence de ses propres voeux. Cette chanson « my offense » est un pari, une incantation.


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J’avais dit et je reste sur cette position que la communauté vertueuse ne pouvait pas être garantie. Il suffit de voir quelques clips, pour comprendre que le terme de « bitch », « nigga », ou « slut », restent des termes insultants, même employés par les artistes queer. Mais si l’intention de la communauté vertueuse n’est pas garantie, on peut toutefois passer au dessus de ces difficultés éthiques, ou passer au dessus de la réalité en adhérant à un niveau de discours qui relève de l’incantation auto-prophétique.

Ce genre de discours ne marche que parce que la réalité est quelque chose de trop vaste pour garantir une vision globale qui exclut d’emblée des corrections comme celles qu’appelle à faire Hercules and the Love Affair. Il ne peut fonctionner qu’à condition également d’être en présence de réalité moins certaines que de simples faits : l’auto-prophétie qui change l’insulte bitch en blason s’appuie sur des mondes fictifs, ou des intentions. Quand Nicki Minaj explique quelle superbe « boss ass bitch » elle fait, elle décrit un monde fantasmé où elle domine tout le monde. Mais cet univers de l’ego trip où on peut répéter huit fois bitch d’affilée et expliquer comment on doit photographier et diffuser sur internet la bite des mecs (appelés nigga – dans un sens générique, disons) qui nous trahissent – cet univers n’est pas réel. Il peut le devenir si vous y croyez, si vous tombez des icônes pop aussi folles et pimpantes que Nikki Minaj par exemple.


Richard Mémeteau

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