Pacific Rim : Le fantôme dans la machine
Il est toujours étonnant de voir les critiques attendre toujours plus d'un blockbuster qu'il ne peut, de par l'essence de son genre, apporter. Pacific Rim n'échappe pas à la règle d'autant plus qu'il tend même à parodier le genre en mimant les tics de celui-ci afin d'en offrir encore plus. C'est donc bien un film monstre avant d'être un film de monstres que nous livre Guillermo del Torro au sens qu'il se recompose de l'ADN de plusieurs films de genre à grand spectacle : Indépendance day, Godzilla et des animés japonais moins fameux sur notre continent comme Patlabor. Le projet est d'autant plus étonnant que la greffe entre le pop-corn japonais et américain a bien pris pour livrer un film culturellement cohérent.
Un film de surface sur les horreurs des profondeurs.
Le monstre géant ou Kaiju est une figure emblématique de la culture japonaise qui n'a pas véritablement de correspondant en occident. En Europe, la peur est plus individuelle alors que de par son histoire la menace est totale au pays du soleil levant. C'est un peuple entier qui doit pâtir comme cela a été le cas avec Hiroshima ou Nagasaki. Car c'est bien évidemment le spectre du nucléaire qui hante la figure du Kaiju qui ne renvoie pas tant à un être maléfique qu'à une force de la nature venue rééquilibrer les désordres humains. Le genre, né dans les années 50 (le premier Godzilla est de 54), est là pour donner une figure à la destruction sournoise et aveugle du nucléaire.
L'effet premier du nucléaire dans l'imaginaire est précisément son pouvoir tératogène. Ce n'est pas la mort qui est crainte mais l'altérité radicale du monstre qui tue notre propre humanité en la déformant. C'est sur cet effet-là que s'enracinent aussi les films de Kaiju et c'est toujours une catastrophe bien humaine qui produit le monstre : déversement de produits dans le fleuve comme dans le génial film coréen The Host ou exposition à des radiations suite à des essais nucléaires pour Godzilla.
Godzilla : une figure destructrice mais aussi protectrice.
Reprenant une thématique classique de figuration de l'inconscient, c'est des profondeurs de la mer que les monstres s'élèvent. Cela confirme qu'au sens propre le danger n'est pas extérieur à la terre (en provenance d'un espace qui n'est pas le sien) mais lui est bien propre. En jouant sur l'idée de profondeur, le film rejoue une forme héroïque et SF de la psychanalyse que vient confirmer la structure même des robots.
Les Jaegers : du vivant plaqué sur du mécanique.
L'ingénierie de ces robots reproduit une structure cérébrale et rend réel cet Autre absolu qu'est l'inconscient en attribuant deux personnalités différentes à chaque hémisphère. L'idée de la dérive (la possibilité d'une connexion entre le psychisme des deux pilotes), nécessaire pour supporter la charge neuronale qu'implique le pilotage de telle machine, est bien plus qu'une simple anecdote. Reprenant la métaphore cartésienne de la relation âme corps du pilote et du navire, le film propose une explication techniciste mais aussi poétique et animiste de cette symbiose. Le coeur du robot est bien sa tête. L'humain constitue l'âme de la machine qui n'est jamais prise dans la culture japonaise, de façon extérieure, comme un destructeur potentiel contrairement à la figure américaine du Terminator. Ainsi contrairement aux droïdes dont les gestes maladroits (C3PO par exemple) copient l'apparence de l'homme et donnent lieu à de multiples éclats de rire renvoyant ainsi de près à la définition bergsonienne du comique qui en fait du mécanique plaqué sur du vivant, les Jaegers, eux, en intériorisant l'homme en captent aussi une forme de majesté. A cela s'ajoute une question d'échelle qui renforce cet effet et qui rend naturel l'incorporation de l'homme dans ces monstres de fer. Le rapport entre l'âme humaine et ces colosses sont semblables à celui que l'on retrouve entre le corps du défunt et la gigantisme des pyramides. Hegel souligne bien l'inadéquation du symbole égyptien qui est là pour montrer derrière ces constructions gigantesques l'importance de l'âme. Mais le "Jaeger" n'est pas une forme géométrique simple. Il incarne le sommet de l'art des hommes, de tous les hommes. Le début du film insiste bien là-dessus pour montrer qu'il est l'achèvement de toutes les cultures. Il n'y a qu'une collaboration à l'échelle mondiale qui pouvait vaincre un tel péril en créant son propre monstre. Le robot par sa forme rappelle l'homme mais l'excède de toute part, y compris cérébralement puisqu'il nécessite pour être stable non pas un mais deux esprits. Il n'est plus un simple "mécha", un outil pensé pour prolonger les forces de l'homme (sur le mécha et les monstres le jeu Lost Planet est une belle illustration), il achève ce que l'homme technologiquement peut.
Un corps mort, une âme vivante : deux demeures pour l'homme.
Le film, comme les machines qu'il fait triompher, est donc doublement cérébral, en tant qu'il rejoue l'opposition du mécanique et de l'organique tout en précisant bien de quels côtés la peur prend place, mais surtout en tant qu'il réussit une dérive parfaite entre la culture japonaise et occidentale proposant un divertissement qui ne cherche pas à être autre chose (un conte écologique comme Avatar par exemple) et qui donc devient pleinement ce qu'il est : un pur divertissement.
Ugo Batini