De quoi le magicien d'Oz est-il le nom ? - Petit aperçu sur "Le Monde d'Oz".
Le cinéma hollywoodien ayant, semble-t-il, perdu le pouvoir de se projeter dans l'avenir n'en finit plus de se tourner vers le passé en multipliant les préquelles. Il n'est donc plus là pour émerveiller en découvrant de nouveaux espaces mais plutôt pour expliquer, clarifier et faire fructifier ce qu'il a donné sans compter au moment d'un âge d'or qui semble clairement révolu. Avec Le monde fantastique d'Oz, Sam Raimi n'échappe pas à la règle mais a l'avantage de nous faire rire et de retrouver la patine du conte qui manquait cruellement aux délires 3D d'Alice au pays des merveilles de Burton. On ne tergiverse pas - c'est un bon film. Mais si le divertissement est plaisant, et James Franco impeccable, il est clair que le film met clairement à jour un antagonisme qui au fil des projections cherche à ne faire triompher qu'un héros : la technique.
"Tu vois petite la magie c'est derrière moi." - source.
Nous avons déjà exploré avec Le prestige comment l'objet cinématographique par excellence que devrait être le magicien est en réalité un être de malheur qui annonce la fin de la véritable magie au profit de l'illusion. Le magicien d'Oz ne déroge pas à la règle et depuis le début souligne la supériorité de l'artifice sur la magie.
Le film le plus célèbre reprenant le roman de L. F. Baum évoque déjà cet aspect, délaissant la métaphore économique de la dépression, pour revenir sur cette lutte stérile d'une magie qui n'est déjà plus qu'illusion. On est donc dans un exercice paradoxal d'un conte de fée, d'un univers merveilleux qui signe justement la fin de ce merveilleux et la nécessité de le dépasser.
Etymologiquement, le merveilleux désigne au sens propre une chose étonnante ou admirable et renvoie directement au surnaturel ou à la magie. Il doit son existence le plus souvent à la projection dans un univers lointain, un ailleurs temporel. Or la particularité du récit d'Oz, et encore plus de sa préquelle que constitue le film de S. Raimi, est de décrire l'envahissement total de la technique et de signer la fin de l'histoire de celle-ci en tant qu'après qu'elle a pris possession de notre monde, l'a complètement arraisonné intégrant même l'homme - son serviteur - au sein de son mécanisme gigantesque, elle en arrive à déborder le réel et à désenchanter l'imaginaire. C'est la fin d'un rapport poétique au monde certes mais aussi de toute rêverie. C'est par petites touches que l'on découvre le ver dans le fruit. Tout d'abord le héros du magicien est Edison : un inventeur et non un homme de spectacle. C'est d'ailleurs une extrapolation de ses machines qui lui permettra de créer sa plus grande illusion et lui permettra ainsi de réaliser une prophétie qu'il semblait pourtant devoir décevoir. Les véritables magiciens - les deux sorcières - sont d'ailleurs des personnages négatifs. La gentille sorcière, elle, ne développe que peu ses tours et n'a recours le plus souvent (si l'on met de côté les bulles pour voler) qu'à des trucs, à des ruses au sens propre, que de simples fumigènes techniques auraient pu tout aussi bien recréer. Cette ruse est l'essence même de la technique qui est pensée au sens grec dans la notion de machine comme une ruse qui permet au plus petit de dominer le plus grand. Ici, elle permet à un homme ordinaire mais éminemment rusé de dominer de véritables magiciens. Cette duplicité, James Franco l'incarne à merveille et nous arrache toujours un sourire lorsqu'il prend plaisir à expliquer ses stratagèmes.
La vraie magie est vouée à l'oubli - source.
Mais tous ses effets sont construits sur une profonde déception : il ne peut faire ce qu'il promet mais uniquement créer un moyen pour donner le change. Son incapacité se révèle nettement au début du film lorsque son spectacle est interrompu par une fille qui croit en sa magie et qui lui demande de lui redonner l'usage de ses jambes. La scène sera reprise avec la découverte de la poupée de porcelaine qui se trouve dans une situation identique mais ici un simple flacon de colle lui permettra de retourner la situation, de la même façon qu'un peu de fumée détournera un lion et qu'une projection dans de la fumée fera fuir les deux puissantes sorcières. Oz est indéniablement un monde de technique plus que de magie, il est le milieu où elle fonctionne à son paroxysme.
Cependant, cette déception a un coût très intéressant qui est révélé par la transformation de la plus puissante des deux sorcières. C'est la déception précisément qui l'a conduite à devenir ce qu'elle est. Celle-ci est double : amoureuse d'abord (Oz flatte sans réfléchir aux conséquences - seul l'effet l'intéresse et non ce qu'il peut signifier) puis magique (il n'est pas ce qu'il promet). Du coup son artifice crée un problème qui nécessite plus d'artifice pour le résoudre. On retrouve ici le fameux effet boule de neige qui montre bien à quel point la technique ne propose de solution qu'en établissant un nouveau problème - elle est un mécanisme sans fin qui appelle sans cesse son renforcement et qui amène à la situation paradoxale où l'homme contrôle la nature au moyen d'une technique qu'il ne contrôle plus.
Ainsi Le monde d'Oz n'est que le récit de cette domination. Il raconte un moment trouble où l'on passe d'une époque magique à une époque technique et où l'on assiste alors à l'emprise complète de celle-ci débordant la nature pour s'épanouir au plus profond de nos rêves. La réquisition de la technique devient donc totale puisqu'elle arrive à dépasser le cadre matériel qui l'alimente pour toucher ce sur quoi elle ne devrait pas avoir de prise pour finalement tarir l'imagination. C'est le sens précis de la double découverte des ruses du magicien aussi bien dans le film d'origine de Victor Fleming que dans la préquelle de S. Raimi. La fin des films est là pour mettre à jour les principes de l'illusion - Oz n'est pas un magicien - mais aussi du coup pour chanter les prouesses et l'efficacité de la technique qui certes ne fait pas rêver mais permet bien de régner.
Derrière l'arc en ciel : l'usine - Over the Rainbow - Judy Garland
Ugo Batini