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Nemesis : le crime ne paie plus !?

Il devient clair que de nos jours le crime ne paie pas. C'est ce que nous incite à penser la mésaventure critique que subit depuis sa sortie en France le dernier opus du duo Millar /McNiven : Nemesis. S'il assassine brutalement et sans vergogne ses victimes, le moins que l'on puisse dire c'est que les critiques le lui rendent bien.


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Pourtant les derniers debriefings au moment de la sortie de la version US étaient plutôt enthousiastes :


"Achetez-le. Vraiment. Si Kick Ass était le Must have 2009, Nemesis sera le Must have 2010, soyez en sûrs. Et oui, Nemesis ferait presque passer Kick Ass pour de la merde… Millar sait écrire ce qui plaît et ce qui vend malgré ses détracteurs qui le trouveront toujours bas du front, la question qui demeure étant « où s’arrêtera-t-il? ». A vous de le découvrir !"

Sullivan pour Cable's Chronicles le 24/03/2010.


Lorsque la série s'achève aux USA, le ton devient plus mitigé :


"Des sentiments très partagés donc. Difficile de dire que la série est exceptionnelle. Facile de dire que c’est mauvais mais ce serait être de mauvaise foi. Que dire au final ? Eh bien, je vous en conseille la lecture mais pas l’achat."

Syc pour Cable's Chronicles le 20/02/2011


Et quand elle arrive en France le moins que l'on puisse dire c'est que la retenue n'est plus de mise :


"Malgré les belles promesses initiales, Nemesis, qui est la divinité grecque de la vengeance, ne risque pas de marquer les esprits, si ce n’est comme étant l’un des titres les plus mauvais de l’année."


M. Géreaume (qui avait pourtant adoré Old Man Logan du même duo) pour planetebd.com le 22/09/2011


Et le ton peut devenir vite condescendant comme dans cette réponse d'un auteur à un lecteur au sujet de son article incendiaire :


"Pour te dire: rien qu'autour de moi je connais deux personnes qui ont vraiment accroché à cet album. Le fait est que nous, anciens lecteurs et plus exigeants, le trouverons probablement creux. Mais sommes-nous le public visé? Je ne pense pas. Après tu as raison, si on achète cet album en pensant y trouver une vraie réflexion sur la violence, par exemple, alors c'est de l'argent de perdu."


J. Maniette dans Universcomics le 26/09/11


A la lecture de tout cela vous comprendrez donc que le lecteur français est un esthète, un homme accompli nourri à Visconti ou Rohmer et qui ne rechigne pas le soir à lire une page de Montaigne avant de filer au lit. Il lit des comics non pas dans le but - trivial - de se divertir mais pour réfléchir et cela, Nemesis, ne le permet pas pleinement, d'où la condamnation.


Plus sérieusement, on peut comprendre la déception comme étant liée à une campagne de teasing diablement efficace qui préparait le lecteur à retrouver Batman dans son meilleur rôle : celui du plus grand méchant que la terre ait pu porter. Cette filiation a été coûteuse car elle ne pouvait que décevoir le fan inconditionnel qui voyait déjà un croisement improbable mais jouissif entre Batman et Dark Vador. Le revers de ce succès marketing est clairement souligné par le très estimé (et estimable) Neault, auteur du blog "Univers Marvel" :


"Un faux événement, porté par un auteur qui, visiblement, mise plus sur la communication que l'écriture."


Vous comprendrez qu'il est inutile de multiplier la revue de presse car l'unanimité n'est pas cette fois-ci du côté où penche notre cœur meurtri et l'on peut dire qu'à la lecture de ce petit panel on est peut-être face au plus grand ratage de l'année. Pourtant, il n'en rien.


Nemesis est, en effet, loin d'être en-dessous de la majorité des productions grâce à un découpage efficace qui montre à quel point la bande dessinée est plus proche du cinéma que de la peinture. Il y a un sens du mouvement et du cadrage qui révèle une écriture avant tout cinématographique. Et s'il y a un Batman à la base de cette mini-série, c'est celui de Nolan qui est dans la ligne de mire, puisque l'on y retrouve des plans presque à l'identique en particulier dans la manière d'appréhender les villes. La scène du kidnapping du banquier de la pègre de Gotham à Hong-Kong est à bien des égards une scène matrice pour Nemesis. Cette façon de se jouer du décor, d'affronter sa verticalité ou sa vitesse (cf. la scène contre AirForce One dans le comics par exemple) suit une veine identique.


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Batman / Nemesis : une esthétique urbaine du verre, de la pierre et de la vitesse.


Le scénario est-il à ce point mauvais !? Il est ténu et le pitch est raconté à l’envie tellement il est séduisant : un héritier millionnaire se lance dans une quête sanglante contre l'ordre et les faux-semblants d'une société qu'il voue à la destruction pour... son pur plaisir. L'inspecteur Blake Morrow, pressenti à la sécurité intérieure des Etats-Unis, cherchera à se dresser contre lui pour sauver son pays, sa famille, son honneur. Il est clair que l'on est loin de la richesse de La Recherche du temps perdu et que Machiavel ou Hobbes fournissent une réflexion plus approfondie sur la violence. Mais peu de Comics semblent remplir de telles exigences et il est assez déroutant que l'on se lance dans des critiques si assassines alors qu'elles peuvent être largement reprises pour la quasi-totalité de la production actuelle. Une fois de plus, le sens de ce média n'est pas d'être une forme métaphorique parfaite pour faire passer au lecteur les plus grandes pages de la philosophie, ni même de s'imposer par la force de sa narration. Le propre de la BD n'est-il pas justement une hybridation entre le texte et l'image qu'il appelle? N'est-il pas encore une fois le genre le plus proche du cinéma ? On comprend d'ailleurs assez bien malgré la mauvaise réception critique qu'une adaptation par Tony Scott avec Brad Pitt ou Johnny Depp dans le rôle titre soit dans les cartons. La force visuelle du découpage le fait fonctionner comme un storyboard parfait. Il n'y a pas besoin d'une imagination débridée pour imaginer la puissance narrative de ces images. Il n'a d'ailleurs pas fallu attendre longtemps pour qu'outre Atlantique on retrouve déjà une animation par Richard Payne qui met, avec de simples effets, parfaitement en évidence la grammaire cinétique de la série :




Enfin, faisons plaisir aux amateurs de philosophie qui, comme Héraclite, la cherchent partout mais évitent finalement le plus souvent le lieu où elle les attend sans surprise, c'est-à-dire dans les livres qui la constituent. Cette idée d'une vengeance aux multiples visages qui se nourrit de l'ennui des puissants est-elle si vide de sens ? Ne retrouve-t-on pas dans Nemesis cette Hybris que les Grecs craignent tant et qu'un personnage comme Néron incarne comme nul autre? Sans trop exagérer, ne peut-on pas deviner dans Nemesis une filiation, bien plus directe que son titre, à la source du tragique grec et à sa vision du destin ? Nemesis présente faussement son plan comme une vengeance contre Morrow (qui anéantit socialement sa famille en mettant à jour leurs activités illicites) mais n'est finalement que le masque d'une vengeance qui peu à peu n'a plus de visage et s'impose à l'homme comme une souillure originelle. Millar est prétentieux dans ses effets de manche mais il nous propose là tout de même de quoi nourrir nos fantasmes et satisfaire mine de rien nos pulsions les moins claires, celles-là mêmes qui nous ont toujours fait préférer Dark Vador à Luke, que ce soit dans les films ou dans notre coffre à jouets et qui nous poussent donc à trouver jouissif ce qui semble si hideux aux autres.


Ugo Batini

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