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Ouvrons le dialogue : la Batmanification !?

Je faisais remarquer dans un post récent à quel point la genèse de Batman est fragile. Je proposais même de lui retirer le qualificatif de "super-héros" pour lui préférer celui de "détective". Car (1) Batman n'est pas "super" (il est humain). Et que (2) Bruce Wayne n'a aucun motif réel pour faire le bien, comme les autres héros (la mort de ses parents intervient trop tôt dans sa genèse, ce n'est pas une explication suffisante, et finalement, on ne sait pas pourquoi il devient Batman si tard).

Ce qui m'intéressait, plus profondément, était de montrer comment toute une chaîne de scénaristes de DC, conscients peut-être de ces fragilités, ont appuyé délibérément (et grossièrement ?) en sens inverse et tenté de faire de Batman un semi-dieu (le seul à pouvoir arrêter Superman), ou un ultra-héros, seul capable de choisir perpétuellement le bien à la suite de conflits intérieurs répétés et théâtralisés (là où le Bien choisi par Superman paraît n'être que l'effet mécanique de sa bonne nature).


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Batman vs Superman : un combat s'engage autour de la batmanification


Peut-être qu'une bonne mythologie se doit d'être paradoxale, voire contradictoire, je ne suis pas mythologue pour le dire... Mais Batman me semblait intéressant au nom même de cette ambiguïté, et plus particulièrement en tant que figure (masquée) de la vérité.


A la suite de mes remarques sur Batman, une occasion de débat s'est présentée (à travers Phersv du site anniceris.blogspot.com et au fond, avec la source même de cette remarque : MGK. A Mightygodking, un internaute a récemment demandé des arguments pour une défense originale de Superman.


La réponse de Mightygodking est simple. Superman résiste à une tendance prégnante chez les super-héros : la batmanification.


Je résume les arguments. (1) Superman est le seul super-héros à auto-limiter son pouvoir, alors que Batman chercherait davantage à l'accroître. Et (2) Superman est également un des seuls super-héros à avoir résisté à la psychologisation des super-héros devenue très en vogue à cause du succès de Batman.

Autrement dit, un super-héros contemporain, s'il voulait trouver des milliers de lecteurs devrait à la fois tracer une courbe perpétuellement croissante vers la puissance, tout en se torturant le cerveau pour rester bon. Bingo, c'est en effet, le portrait type du héros moderne. Ils sont tous élus ou prophètes de quelque chose, pleins de super-pouvoirs, et complètement paumés quant à savoir quoi faire de ces super-pouvoirs. Si on voulait faire une psychanalyse d'une société tout entière, on ne s'y prendrait pas mieux.


Mais cela concerne-t-il vraiment Batman ?


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D'après ce que j'ai écrit, on aura compris que je considère le "trauma" de Batman comme trop théâtral et trop récurrent pour pouvoir être pris au sérieux. Les scénaristes tentent d'expliquer Batman, alors que sa genèse héroïque est tirée par les cheveux. Le "réalisme" de l'adaptation cinématographique récente par Christopher Nolan ne me réjouit pas particulièrement. A mes yeux, soit Batman est un mythe qu'on n'expliquera jamais vraiment, et qu'on devra traiter comme une figure paradoxale et fascinante (à la façon de Tim Burton), soit il est un fou en costume qui peut faire sourire le Joker (ce que le personnage de toute façon risque toujours de devenir).

Quant au rapport de Batman avec le pouvoir, il est à nuancer. S'il est très net que Bruce Wayne n'est pas gêné d'écouter illégalement ses propres concitoyens (alors que ça causerait une bonne migraine à Superman), pour le reste, le personnage fait plutôt preuve de retenue. Batman tient par exemple à rester humain et citoyen de Gotham, alors qu'il pourrait aspirer comme un Lex Luthor à s'hybrider de toutes les façons possibles avec le premier extra-terrestre qui passe.


Mais puisque la discussion s'est déplacée sur Superman, je veux préciser quelques points dans une intention cette fois plus consensuelle : que Superman s'auto-limite ou qu'il résiste à la psychologisation, c'est entendu, mais c'est plutôt le sens prêté à ces deux exceptions que je critiquerais.


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La critique de la batmanification des super-héros fait écho au fait que Superman a inspiré à Mark Millar un album, Red Son, où Superman se transformait en dictateur mondial invulnérable (la fin est plus nuancée, mais je me contenterai du pitch). Par contraste, la cape noire de Batman a un côté dissident plutôt sympa. Il est vrai que ce genre de dérive autocratique est un lieu commu – et que Batman n'en est pas exempt (cf. Kingdome Come). Mais Superman se prête particulièrement bien à ce genre de déviation tout simplement parce qu'il est supposé invulnérable. Régulièrement maintenant, on a le droit à notre super-héros "Superman-like" qui se fait corrompre par son propre pouvoir, et qui finit par prendre sa force pour un principe de justice (Warren Ellis se fait une spécialité de ce genre de scénario subversif à la Moore, dans No Hero ou Black Summer).


"Anniceris" a raison sur un point : accentuer cet aspect de Superman revient en effet à oublier qu'en temps normal, Superman auto-limite son pouvoir. Il pourrait détruire la terre entière mais ne le fait pas. Il pourrait écouter les conversations de tout le monde, ou voir tout le monde à poil, mais il ne le fait pas (peut-être parce qu'il a un problème avec le sexe – la plupart des hommes seraient certainement tentés de passer leur journée en vision laser plutôt que d'essayer de voler ne serait-ce qu'une seule fois). Alors, évidemment, il peut à ce titre faire figure de modèle. Superman a pour rôle de faire croire que des valeurs bonnes, apprises même par un homme surpuissant – et donc susceptible d'être corrompu – restent des valeurs bonnes. Et il a aussi historiquement pour rôle de faire croire aux valeurs d'assimilation de l'Amérique (puisque le petit Clark Kent n'est rien d'autre qu'un alien assimilé, ou Jerry Siegel, le créateur de Superman, un juif assimilé).


Mais le lieu commun du pouvoir corrupteur est très utile, et il est aussi vieux que le monde lui-même, heureusement. L'épopée de Gilgamesh, premier récit connu dans l'histoire de l'humanité, raconte (entre autres, tellement ce récit est riche) l'histoire d'un roi qui se sentant tout puissant a défié les dieux et s'en est trouvé puni. Platon rapportant le mythe de Gygès, mythe d'un anneau corrompant un pauvre berger, n'a d'un certain point de vue rien fait d'autre que le pitch du Seigneur des Anneaux, qui irrigue nos mythologies contemporaines (dont Star Wars est un autre exemplaire). Il y a une légitimité définitive à mon avis, à mettre en garde contre les dérives totalitaires de tout pouvoir ou de tout vigilantisme. Dit de façon plus franche : croire à l'auto-limitation du pouvoir me semble une régression. Si Batman devait devenir autocrate, ce serait davantage parce qu'il n'est plus surveillé par le commissaire Gordon ou éprouvé par la galerie de fous qu'il pourchasse.

Autrement dit, l'auto-limitation du pouvoir en tant que valeur n'a rien de très séduisant quand on devient adulte. Mais, qui plus est, elle est étrangement exempte de toute justification, alors qu'on peut expliquer pourquoi le pouvoir corrompt, et en faire de bons scénarii. On ne sait pas pourquoi Superman s'empêche de raser la Terre ou de violer Loïs Lane. A la limite, on peut rappeler qu'il a grandi comme ça, élevé par les Kent, mais précisément, ça revient à croire aux valeurs universelles de la paysannerie texane... ce dont on peut tenter de faire l'économie.



La deuxième remarque est plus intéressante. Superman résiste à la psychologisation – il résiste aux traumas qu'on colle aux super-héros (en l'occurrence, c'est souvent dans les reboot contemporains des mythologies DC ou Marvel qu'on nous colle des traumas partout – Hulk et son père, Wolverine et son père, Hal Jordan et son père... ce sont des réappropriations très récentes, toujours autour du problème du père d'ailleurs, ce dont les américains devront prendre conscience un jour ou l'autre). Certes, Superman ne s'allongera jamais sur un divan. Mais n'est-ce pas la raison même de sa platitude ? Le personnage de Superman a récemment dû être évalué parce que les descendants de Siegel demandait des droits sur le personnage. Et après un long calcul, on a réévalué les droits sur Superman à la baisse, comparés à ceux que pourraient rapporter Batman par exemple*. La raison saute aux yeux de tout le monde : Superman n'a pas de faiblesses. Et par conséquent, il est ennuyeux. Evidemment on peut me reprocher de ne faire ici qu'une appréciation subjective (et souscrire aux évaluations de la Warner). Mais c'est pour cette raison que je parle de cette affaire concernant les droits du personnage : je ne suis pas le seul à revoir l'intérêt de Superman à la baisse aujourd'hui. Superman est ringard. Mais peut-être n'est-ce que la première étape vers une vraie postérité...?


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La fin d'un monde mais le début d'un héros : krypton


Si on veut une analyse plus factuelle, il me semble que Superman n'est pas à proprement parler dénué de trauma. Il est tout de même le seul survivant d'une civilisation disparue et il hérite littéralement de toute la mémoire de son peuple qu'il a à charge de faire revivre. Son trauma n'est pas psychologique au sens où on l'entend d'habitude : ce n'est pas un accident ou une crise de culpabilité. Son originalité est en l'occurrence qu'il renvoie à sa prime enfance (quand il est placé, encore bébé, dans le vaisseau pour échapper à la destruction de Krypton). D'une certaine façon, Superman doit prendre conscience par lui-même de son traumatisme alors qu'il pourrait choisir de l'ignorer (et être là, pour le coup, parfaitement assimilé en perdant la conscience même de l'être). Clark Kent a le même trauma que n'importe quel orphelin. Et même peut-être comme eux, il peut souffrir de la perte de ses parents, bien qu'il ait de formidables parents d'adoption. Superman peut s'interroger infiniment sur ce qu'il n'a pas connu et qu'il aurait dû connaître, il doit faire le deuil d'un possible – alors que Batman et les autres doivent surmonter le traumatisme d'un événement réel. Quoi qu'il en soit, être l'héritier d'une civilisation dont l'humanité pourrait répéter les erreurs est une assez bonne raison de devenir un héros. D'autres se sont changés en prophètes pour moins que ça.


A la limite, si on se demandait comment utiliser Superman de façon ni ennuyeuse, ni psychologisante, je renverrais de façon très subjective et entêtée à la meilleure version de Superman que je connaisse : celle de Morrison et Quitely (et ce n'est pas faute d'avoir essayé de trouver mieux). J'en ai déjà parlé ici. Morrison traite Superman d'une façon originale. Il ne va pas chercher les éventuelles faiblesses de Superman, mais il va l'employer comme une hypothèse métaphysique, un personnage capable d'explorer des limites inconnues pour les autres – et plutôt que de le ramener vers les hommes, il va l'en éloigner. L'histoire commence symboliquement par la surirradiation de Superman au soleil qui lui donne son pouvoir. Notre héros voit alors son pouvoir se décupler, mais également son espérance de vie se raccourcir dramatiquement. Durant ces derniers instants qui lui restent, Superman va être atteint d'une sorte d'hyperactivité, tentant de corriger toutes ses erreurs au lieu de se guérir. Le propos est limpide : un être aussi puissant que Superman arrive nécessairement à un niveau où il se disloquera sous le poids de sa propre puissance. C'est cette fragilité (découlant de la puissance) qu'il me semble plus utile d'explorer, au lieu d'une moralité humaine supposée limiter la puissance.


Richard Mémeteau

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