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Batman : Et in Arkham ego

L'année a été décisive pour le chevalier noir et l'été s'ouvre pour nous en kiosque (1) avec la parution du faire part et donc le deuil d'une figure qui nous quitte difficilement. Les raisons de cet attachement sont nombreuses et il est clair que d'une certaine façon Batman réalise le fantasme adolescent du méchant classe qui prend - enfin - la place du gentil (fantasme tenace depuis Dark Vador...). Mais au-delà de cet aspect esthético-lyrique il se joue quelque chose de plus profond qui implique une plongée au coeur de notre conscience pour comprendre justement ce qui s'y dérobe et ce qui paradoxalement constitue le Batman.


Mais revenons au début de la fin...


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Batman R.I.P.


La mort du chevalier noir - le coup éditorial de DC de l'année - se construit autour d'un scénario sinueux signé Grant Morisson et se décline dans notre beau pays en 5 fascicules publiés chez Panini Comics qui ne reprennent malheureusement pas tous (excepté les "collectors") les somptueuses couvertures d'Alex Ross.


L'intrigue est tortueuse et fait intervenir une figure du mal inhabituelle dans l'univers de Gotham : le gant noir. Originellement apparu dans l'île du docteur Mayhew, cette organisation un peu folklorique est dirigée d'une main de fer (ah ah ah) par une personnalité maléfique singulière : le psychiatre Simon Hurt.


Indirectement, ce personnage met en avant un des foyers de l'univers de Batman : la psychanalyse et son revers - la névrose. Notre thèse est que Batman peut être compris comme une figure parfaite du refoulement. Il est une stratégie de survie mise en place pour surmonter une tragédie originelle qui touche un des archétypes centraux de la psychanalyse (les parents). Il est tout entier refoulement car il n'arrive pas à annihiler la pulsion qui le domine et il cherche à s'en défendre en refusant de se la représenter. Il devient donc le symbole même de ce mécanisme en portant un masque. Le masque n'est pas tant là pour le protéger du monde extérieur que de celui intérieur de la pulsion. Il cherche donc en quelque sorte à "masquer" (Les fans de Derrida apprécieront !) à Bruce Wayne le mobile essentiel du Batman.


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Le Dr Hurt : un ennemi à visage découvert.


Personne n'ignore que la matrice du chevalier noir est le meurtre originaire de ses géniteurs qui l'amène dans le cercle infini de la vengeance même s'il cherche à se parer du doux nom de justicier. Nous avons déjà étudié cette ambiguïté mais ce qui compte ici c'est de voir en quels sens ce trauma de tous les traumas structure la naissance mais aussi la mort du chevalier noir. Le fait que l'homme qui orchestre sa chute soit un psychiatre accentue cela et montre bien comment depuis toujours le pire ennemi de Batman est bien évidemment Batman lui-même.


Ce fameux docteur Hurt apparaît dans l'histoire principale et semble suivre le psychisme torturé de Batman depuis déjà une dizaine d'années. Sans être nommé, il est déjà à l'oeuvre dans le très étrange Batman #156 "Robin Dies at Dawn". Episode onirique où Batman semble être perdu dans une planète lointaine voire une autre dimension (figuration de son inconscient !?) et qui l'amène à se confronter à la pire de ses peurs : la perte (celle d'un être cher évidemment et qui plus est le dernier avec Alfred son majordome : Robin). En réalité cette disparition est fantasmée et Batman se réveille en sueur : il était en fait en train de rêver pour le bien d'une expérience de la NASA sur la conscience et l'isolement...


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Si la mort de ses parents fait Batman, celle de Robin peut le défaire - source.


L'astuce est un peu grossière mais elle prépare de nombreux épisodes futurs et comporte en germe tous les éléments qui permettront de rendre plausible la fin du chevalier noir.


Tout d'abord, il n'est pas inutile de noter que la figure de Robin fonctionne comme un transfert de Batman. Le "jeune prodige" est adopté par Bruce Wayne après le meurtre de ses parents suite à un racket qui tourne mal. Le mimétisme de la situation pousse Bruce à prendre soin du jeune acrobate et l'amène ainsi peu à peu à entrer dans son univers. Il représente un éclat de couleurs dans un monde bien trop sombre et d'un point de vue éditorial il a l'avantage d'introduire un peu d'humour (souvent raté) et de distance au sein de scénarios bien trop noirs pour de simples comics. Il permet ensuite une identification plus aisée des jeunes lecteurs qui se retrouvent alors dans la position du jeune homme qui apprend tout peu à peu de la fréquentation de son maître. L'apparition de Robin transforme assez naturellement les histoires en roman d'initiation et le plaisir de l'ado se crée à partir de cette position qui lui fait rêver peu à peu de devenir à son tour un sombre justicier.


Dans l'épisode 156, la mort du jeune prodige est donc purement imaginaire et ne fait que traduire une angoisse profonde, la seule véritable faille de Batman. Mais elle peut aussi être perçue comme un avertissement puis une prémonition de ce qui arrivera à Jason Todd (le second Robin) qui connaîtra réellement ce sort (Un deuil dans la famille in Batman #426 à 429 : un arc narratif assez mauvais - soit dit en passant - qui a été créé en partie par les lecteurs qui pouvaient influencer le récit par téléphone. Pour la petite histoire le joker le tue en s'alliant à des terroristes islamistes et se protège derrière son immunité accordée par l'ambassadeur d'Iran - sic !) et qui marquera dans la série un retour à son origine : la noirceur.


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Le réel rattrape le cauchemar dans cet épisode - source.


L'épisode de l'expérience montre donc à quel point Batman ne peut pas ou plus surmonter une nouvelle perte. Cette angoisse est retranscrite dans la transposition que fait Morison de cet épisode dans le Batman #673. Batman sort épuisé du caisson expérimental, derrière lui, en arrière fond, le docteur Hurt assiste à ce moment de faiblesse et peut commencer ainsi à placer les premiers pions sur son échiquier.


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Au-delà de l'événement, cette expérience soi-disant menée pour l'honneur de la science a en réalité un but caché que Batman avoue à Robin : explorer les limites du psychisme pour mieux comprendre l'altérité radicale que semble représenter pour lui le Joker. Batman cherche en lui-même les ressorts pour appréhender ce qu'il sent trop bien lui ressembler. Le Joker est une figure sans masque car précisément elle est une figure qui s'assume telle qu'elle est. Il est la folie qui s'assume alors que Batman se pose en figure centrale du refoulement. Et ce n'est pas un hasard si la plupart des êtres amenés à comprendre la double personnalité de Wayne sont des êtres déjà brisés à l'image des deux premiers Robin qui appréhendent la vérité car ils partagent un passé identique au chevalier noir. Dans cette économie, Alfred (et dans une certaine mesure Gordon) font figure de surmoi. Il surveille que le passage du côté de la pulsion ne soit pas total. Il veille à ce que le débordement ne ronge pas Batman au point qu'il ne soit plus que... Batman. Un passage de Hush(Batman #614) est significatif à cet égard. Batman croit perdre son meilleur ami d'enfance et pense - malgré ses négations - que le Joker est coupable. Aveuglé par la vengeance il le roue de coups jusqu'à être arrêté par une balle opportune de Gordon qui lui rappelle la limite à ne pas franchir pour rester ce qu'il est et ne pas devenir la figure que lui tend en miroir le Joker derrière son éternel sourire.


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Le joker : je est un autre ? (Hush - Batman #614)


Batman sans cesse se perd et la quasi totalité des épisodes jouent sur cette ambiguïté qui est rappelée dès le début à l'image de cette couverture du numéro 112 qui lui fait poser sans ambages la question fatale : "si je ne suis pas Batman - qui suis-je ?" Le costume est donc bien pour lui ce qui fige son identité et derrière cela ce qui reste de sa psyché et sa multiplication brouille les pistes comme le rappelle un dessin naïf cet épisode.


Et c'est précisément ce costume qui sera une dernière fois son ultime rempart contre la folie quand le piège de l'inquiétant Docteur se refermera sur lui. Le mécanisme est simple : tuer Batman en écroulant son psychisme. Il n'a suffi pour cela que d'une suite de mots en apparence incompréhensibles - Zur-En-Arrh - pour initier sa ruine, le docteur ayant profité des nombreuses expériences pour placer cet enchaînement comme un élément déclencheur de son ébranlement psychique puisqu'il l'amène à faire éclater sa défense en le ramenant au point de départ. Jezebel Jet (la petite amie top model de Bruce mais en réalité une complice de Hurt) commence par fragiliser B. Wayne en le renvoyant à ce qu'il est réellement : une échappatoire pour ne pas avoir à surmonter véritablement le meurtre de ses parents. Elle prononce les mystérieux mots lorsqu'il lui dévoile qui il est réellement en la conduisant au coeur de la Batcave. Ce lieu est en lui-même une figuration parfaite de son inconscient : il est situé au fondement du manoir et est donc symboliquement le support de tout son psychisme. Peu éclairé, il n'abrite jamais Bruce Wayne mais toujours le Batman. Celui-ci s'effondre alors et devient catatonique. C'est la fin de la parade - il n'y a plus rien pour le détourner de ce qu'il est. Les mots énigmatiques renvoyant via un processus de condensation à la dernière phrase qu'il prononça avec son père en sortant d'une projection de Zoro ("Zoro in Arkham"). Il est ainsi ramené de fait à l'événement qu'il cherche à ignorer, submergé par la remontée du souvenir dans toute sa crudité il ne lui reste plus que l'effondrement. Il est alors maintenu dans cet état par la drogue et rejeté dans les rues les plus sombres de la ville qu'il est censé défendre.


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L'enfance : encore et toujours... - source.


Suite à cela, il n'est plus rien : ni Bruce Wayne, ni Batman mais un vagabond qui erre pour survivre. Cette période de latence trouvera son terme suite à une traversée psychédélique et la constitution d'une identité de secours. Au plus profond de son errance, il reprend pied grâce à une ultime dérivation, une identité fictive qu'il s'est créée pour surmonter le pire : la folie. C'est alors la venue du Batman de Zur en Arrh. Sorti des limbes de son psychisme, cet ultime masque fige son état de décomposition et lui donne l'occasion de surmonter une dernière fois ce qui l'abîme. Le costume fusionne la totalité de ses peurs et fait rejaillir des couleurs derrière la noirceur. Rapiécé il symbolise naïvement la volonté d'un psychisme qui tente de se reconstruire en se raccrochant à une série de repères (la couleur par exemple renvoie au costume de Robin).



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La projection de ces souvenirs dans une ultime figure contre la folie : Zur-En-Arrh - source.


Cette dérivation psychanalytique est confirmée alors par l'apparition d'un étrange personnage: batmite.


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Batmite : le démon de Socrate de l'homme en noir.


Apparu pour la première fois en 1955 (Detective Comics #267) prolongeant un peu la veine burlesque des aventures plus colorées de Robin, il refait ici son apparition et semble jouer un rôle assez obscur. Surmoi de bazar ou démon socratique du pauvre, il conseille le détective, l'empêche de commettre certaines actions mais surtout tente de le ramener à sa première personnalité.


Sa fonction apparaît clairement lorsque cet étrange Batman s'apprête à rentrer dans l'asile d'Arkham. Ce "démon" reste au seuil et dévoile alors clairement ce qu'il est : un ultime mécanisme de défense, un écho affaibli de sa raison destiné à la restituer. Ainsi dans une parfaite logique hégélienne, Batman doit pouvoir aller au bout de la folie pour regagner sa santé mentale. Il entre alors à Arkham au coeur de ce qu'il craint le plus pour affronter ses peurs et sa propre folie.


L'asile revient alors au devant de la scène et se signale, une fois de plus, comme l'élément central de tous les récits. Il sera nécessaire d'y revenir tellement sa signification est riche mais il reste le point de départ, quelquefois le lieu même de l'intrigue, mais à coup sûr celui du dénouement. Batman ne tue pas, il isole. Le véritable ennemi de l'homme chauve souris n'est pas un simple criminel mais la folie dans ses aspects les plus divers. Il n'y a donc pas d'autres solutions que la mise à l'écart - l'asile devient l'ultime rempart - le lieu précisément qui accueille ce que la raison ne peut contenir. Batman apparaît alors comme l'unique personnage capable d'y faire librement des allers et retours, et seulement lui, car jamais Bruce Wayne ne franchit le seuil de cet espace. Batman évolue donc principalement en deux lieux: dans les profondeurs de l'inconscient du riche miliardaire que l'on retrouve parfaitement symbolisées par la Batcave mais aussi et peut-être surtout dans l'asile d'Arkham qui est le moteur véritable de toutes les aventures et qui semble l'appeler sans cesse comme sa destination finale. C'est cet écho qui est à l'oeuvre dans l'épisode final du chevalier noir mais que l'on retrouve tout au long de ses aventures où souvent les aliénés le réclament lui montrant ainsi où est son lieu naturel comme dans le très impressionnantBatman : Arkham Asylum illustré par Dave Mc Kean (2). Ainsi par-delà les apparences (Bruce Wayne) il semblerait que ce soit bien la pulsion qui domine le chevalier et toutes ses aventures ne sont qu'un combat voire une errance entre la folie et la raison. Batman fascine justement car il ne se situe pas nettement dans un camp mais toujours sur la limite et derrière son masque il semble simplement nous dire que lui-aussi est déjà dans la folie (Arkham), ainsi l'épitaphe la plus juste pourrait être ce simple rappel: Et in Arkham ego (je suis aussi à Arkham).


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"J'ai peur que le Joker ait raison à mon sujet... parfois je remets en question la rationalité de mes actes.

Et quand je passerai les portes de l'asile... quand j'entrerai dans Arkham, et que les portes se fermeront derrière moi... j'ai peur que je me sente chez moi."



Ugo Batini

(1) Parution d'un nouveau bimestriel chez Panini Batman universe consacré uniquement à l'univers de Batman. Nous reviendrons sur ce premier numéro qui propose une histoire originale de Neil Gaiman et Andy Kubert qui se pose comme un étonnant éloge funèbre.

(2) Morisson et McKean, Batman : Arkham Asylum, DC Icons, panini comics.

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