Le "Freak", c'est chic ! – Freakosophy : généalogie 1
C'est en sortant du colloque "syndicalisme et close combat : quel futur pour l'éducation ?" qu'un de nos camarades d'infortune nous a demandé, à R. et moi, des précisions terminologiques sur notre projet, reprenant ainsi le questionnement rageur de la plupart des mails et commentaires qui nous sont revenus grâce à la magie d'un monde 2.0. L'écran de fumée de notre premier post n'a donc pas tenu bien longtemps et malgré le patronage d'Aristote il s'agit maintenant d'avancer à découvert.
On peut passer assez vite sur les évidences qui font que le nom « Freakosophy » est assez accrocheur, que c'est un titre "pop rock sauvage" dont le fond de commerce est le "glam et le rythme". "Pop philosophie" aurait été bien mais c'est surtout déjà pris. Le concept est de Deleuze (1) qui désigne par là une réalité proche de la freakosophy puisqu'il la décrit comme une philosophie impure. Elle est celle qui s'empare des objets inhabituels et considérés un peu connement comme en dehors du cadre strict de la philosophie. C'est bien trouvé et sans remonter jusqu'au Parménide en se demandant s'il y a une idée du poil ou de la boue, cela reste le sens même de la philosophie qui est en question. Deleuze définit celle-ci comme création de concepts et, à partir de là, il l'ouvre à tous les champs possibles. C'est génial et c'est bien dit – transportez vous directement à la 5ème minute pour vous bercer de cette idée:
De freakonomics à freakosophy
Mais notre filiation est à la fois plus modeste et plus lointaine puisqu'elle sort tout droit d'un des plus grands best-sellers que les sciences économiques aient connu : Freakonomics.
Steven D. Levitt applique précisément à l'économie une perspective similaire à celle de Deleuze en philosophie. Rien n'est mis de côté et un sens est reconstruit jusque dans le plus trivial. Et le miracle se produit. Levitt nous rejoue la raison dans l'histoire et met à jour des mécanismes insoupçonnés qui balayent les préjugés (et oui la plupart des dealers vivent encore chez leur maman...) et font émerger une compréhension nouvelle. La "freakonomics" c'est toujours la découverte du papillon qui provoque un tsunami. Le chapitre sur la baisse de la criminalité aux Etats Unis est un modèle du genre : une leçon d'humilité et un avertissement pour les médias qui sont toujours prompts à sauter sur la moindre fausse évidence venue. Il y a un sens "pop" de la formule mais surtout un véritable génie de l'intuition. Le freakonome, c'est celui qui sent qu'il y a un truc qui se passe, qui perçoit la bête au fond du verre qui donne un goût si amer à l'ensemble.
C'est ce souci du détail, ce surf constant sur l'incongru qui permet à ces auteurs en quelques pages, comme en passant, de donner, par exemple, une esquisse de solution à la fable de Gygès et d'apporter un soutien plus réconfortant à Socrate que celui d'une table ronde de professeurs de philosophie à la dérive. On atteint ici au détour de deux pages le véritable paradigme de cette "pensée monstre". Cette fable est censée apporter un peu d'eau au moulin de Glaucon qui soutient au début de la République que l'homme n'est pas bon naturellement mais qu'il ne l'est que par l'effet de la contrainte. En effet, Gygès le berger découvre un anneau magique qui lui procure l'invisibilité et donc une totale impunité. Caché de tous, il se met à accomplir des choses terribles allant jusqu'à séduire la reine et prendre la place du roi. La question posée est simple : résisterait-on à la tentation de faire le mal si on avait la certitude que personne ne pourrait nous confondre? La réponse l'est tout autant et c'est en suivant les statistiques d'un vendeur de Bagels (Paul Feldman) que Steven D. Levitt arrive tranquillement à l'affirmation que Socrate (et Adam Smith) peuvent dormir tranquille car dans le fond 87 % des hommes y résisteraient...
Vous êtes chaleureusement invité à lire le détail dans:
Et si vous voulez tenter l'aventure Freakonomics pour patienter entre deux posts furieusement freakosophiques, vous pouvez faire un tour sur leur blog hébergé par le non moins glamour et respectable New-York Times. A lire prochainement dans leur rubrique "Opinon/Style": "Freakosophy - How to do things with brain"
A suivre ...