Extension du domaine de la lutte : The Prisoner 2009
Fort d'un succès qui ne se dément pas les producteurs tv ressortent des cartons les séries phares qui ont fondé le genre. "V" change de peau avec succès mais qu'en est-il du Prisonnier ?
Caviezel/numéro 6 et un des célèbres "rovers"de la série originale - source.
L'affaire n'est pas mince car ce n'est pas qu'une simple adaptation qui est en jeu. Série culte en même temps que série phare en tant qu'elle pose le genre et le format de ce que seront les séries d'aujourd'hui, le prisonnier semble par sa position même de référence difficilement transposable. L'attente autour de cette nouvelle mouture ne pouvait donc être qu'à la mesure de la réputation qui entoure ce que beaucoup considèrent comme le premier chef d'oeuvre du petit écran.
Il n'y a pas lieu de faire durer un suspens inutile, le résultat n'est pas une grande réussite même si la série (que nous appellerons désormais The Prisoner 2009) propose quelque chose d'honnête en essayant justement de se démarquer de son original. C'est donc avant tout la réalisation qui pèche - Jon Jones ne fait pas rêver et son académisme est plus désuet qu'efficace. La plupart des bonnes trouvailles sont gâchées tellement l'intention est évidente et vient fusiller ce qui aurait pu relever un peu le tout. Il est facile de refaire le monde mais on ne peut pas ne pas penser qu'une telle adaptation ne pouvait décoller qu'aux mains d'un auteur comme David Lynch et non d'un simple artisan. Cette catastrophe est un peu redoublée par le choix du numéro 6. Jim Caviezel est efficace mais ne porte pas en lui la part de mystère qui faisait de Patrick McGoohan (1928 - 2009) un espion à la fois crédible aussi bien dans le rôle de simple pion que dans celui du grand manipulateur. Caviezel surjoue la détermination et a du mal à rendre efficace ses états d'âmes si ce n'est dans l'ultime épisode dont on taira le dénouement pour ne pas faire disparaître ce qui peut sauver cette adaptation.
Numéro 2 et numéro 6 - des chiffres pas toujours gagnants... - source.
Cependant au-delà de cette fin pirandellienne il s'ajoute un autre élément de taille : les deux tours. On pourrait être étonné de la lourdeur du symbole et pourtant au bout d'un certain moment cet élément intrigue puis fascine. Le motif n'est pas neutre dans le petit écran et la chute de Fringe repose en partie sur leur présence. Pourtant ici la place qu'elles occupent dans l'économie du scénario est déterminante puisqu'elles sont au sens propre comme au sens figuré le point de fuite du village. Elles indiquent de façon fantomatique une réalité qui n'est visiblement déjà plus mais qui marque de façon indélébile le présent du village. Elles marquent un horizon et à plusieurs reprises elles s'imposent comme la seule sortie crédible. Pourtant à chaque tentative elle mène à un retour. L'idée suggère ainsi que le futur ne peut se nourrir du passé et que c'est peut-être précisément ce passé qui maintient l'enfermement dans ce présent. A cette première impression s'ajoute le fait qu'elles renvoient aussi à la raison d'être de ce village. A plusieurs reprises, elles apparaissent comme le centre de commandement de cette gigantesque aliénation, le seul point de vue réel finalement sur une réalité qui ne l'est plus.
Les deux tours: un horizon indépassable ? - source.
On ne peut donc que regretter que ce coup adroit ne soit pas représentatif de l'ensemble qui s'enfonce un peu trop rapidement dans un spectacle convenu et espère s'en tirer en lorgnant sur la réputation du modèle original. Le plus grand mérite de ce remake est finalement de faire signe sans parvenir à le reproduire vers l'original et donc de nous amener à faire retour vers lui.
Le numéro gagnant.
– Où suis-je ?
– Au Village.
– Qu'est ce que vous voulez ?
– Des renseignements.
– Dans quel camp êtes-vous ?
– Vous le saurez en temps utile... Nous voulons des renseignements, des renseignements, des renseignements.
– Vous n'en aurez pas !
– De gré ou de force, vous parlerez.
– Qui êtes-vous ?
– Je suis le nouveau Numéro 2.
– Qui est le Numéro 1 ?
– Vous êtes le Numéro 6.
– JE NE SUIS PAS UN NUMÉRO, JE SUIS UN HOMME LIBRE !
Le ton est donné dès le départ: incisif et ambigu le célèbre dialogue pose la trame sans chercher à l'enfler comme dans le remake qui troque ce minimalisme pour une multiplication d'effets et de grimaces.
Patrick McGoohan: créateur, acteur et réalisateur de certains épisodes.
La clef est peut-être suggérée dès le début mais nécessite de passer par la VO:
– Je suis le nouveau Numéro 2. (The new Number 2.)
– Qui est le Numéro 1 ? (Who is Number 1?)
– Vous êtes le Numéro 6 (You are Number 6 ou You are, Number 6).
C'est à ce genre de détails que l'on perçoit d'emblée que l'on ne joue pas dans la même catégorie car c'est précisément cette quête de soi ou plutôt du monstre en soi qui va se tenir en permanence jusqu'au final complètement délirant (et décevant pour les premiers fans qui n'ont pas voulu y voir plus qu'un divertissement télévisuel) et surréaliste au sens propre. L'hypothèse que le numéro 6 est justement le numéro 1, renouvelée dans la dernière image qui filme l'appartement du prisonnier en insistant sur le fait qu'il est situé au numéro 1, sous-tend toute une lecture qui est aussi féconde que celle qui veut y voir une critique du totalitarisme. C'est la multiplication des pistes, le foisonnement des interprétations qui font la force des 17 épisodes du Prisonnier diffusés entre 1967 et 1968. La série interroge la notion du contrôle à tous les niveaux: psychologique, individuel mais aussi social. Il suffit de changer l'échelle d'interprétation pour retrouver un discours cohérent et se rendre compte que la série toute entière fonctionne uniquement sous un mode allégorique. Le très bon article de Gilles Visy paru dans Cadrage offre un exemple de la richesse herméneutique du Prisonnier. C'est donc cette ramification que perd le remake en s'attachant uniquement à une seule et même piste et voulant finalement faire ce que l'original s'est toujours refusé: donner une réponse univoque. Dans le fond, cela en dit long sur les changements des époques et la volonté de simplifier qui est peut-être propre à la nôtre.
Je est un autre ? : l'énigmatique numéro 1 - source.
Meadowlands: l'alternative ?
Ce n'est donc pas du côté de l'imitation servile qu'il faut chercher une continuité mais du côté de la trahison et dans ce domaine c'est bien vers une série peut-être injustement méconnue qu'il faut tourner son regard: Meadowlands (Cape Wrath). Libérée de la nécessité de l'hommage, Meadowlands reprend les codes du Prisonnier et de Twin Peaks pour mieux les pervertir et proposer finalement une alternative plus réelle à ces deux monuments. Tout n'est pas réussite - loin de là - mais la tentative est plus franche et mérite que l'on s'y attarde. Le "pitch" est simple : une famille britannique moyenne est parachutée suite à un programme de protection des témoins dans un village coupé du monde et de son passé. Cette mise à l'écart correspond au schème commun - la nouveauté c'est ce que cette dernière va directement être perçue au nouveau collectif que représente la famille. Ainsi toutes les étapes suscitées par ce greffon maladroit hors de la vie et du passé vont être produites simultanément s'incarnant chacune dans un membre de la famille: le fils muet, le père faussement heureux, la mère toujours sur le départ... Le questionnement sur la situation sera donc démultiplié par la multiplicité des regards qui la scrute. Et évidemment le malaise va très vite s'installer car ce village de témoins comporte autant de points aveugles que d'habitants. Chacun est là probablement pour une très mauvaise raison, l'essentiel étant de deviner laquelle sans jamais faire voir la sienne.
On ne retrouve pas la force des modèles mais on décèle quelque chose de plus frais que le simple pastiche ne peut se permettre. On ne peut donc que regretter que Showtime et Channel 4 n'aient pas prolongé cette série pour voir si après l'adaptation difficile de son spectateur, elle ne pouvait pas déboucher enfin sur quelque chose de neuf et dépasser le confort du simple clin d'oeil.
Pour poursuivre:
Les deux versions du Prisonnier seront diffusées sur Canal + dès le mois de février.
Pour les fans un détour s'impose par le très freakosophique article (décembre 2003) de G. Visy sur le prisonnier sobrement intitulé: "Pour une phénoménologie de la fuite contrôlée" ...